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connues. On sait qu’ils ne sont point cultivateurs, et que, semblables à certains Indiens de l’Amérique du Sud, ils ont appris à dompter le cheval.

Au premier abord, on eut beaucoup de peine à s’entendre avec ces sauvages ; le jeune officier texien comprenait seul quelques mots de leur langue. Heureusement il se trouva parmi eux un pauvre enfant mexicain d’une douzaine d’années environ, qui put servir d’interprète. Cet enfant avait été enlevé par les Comanches après le massacre de sa famille, et fait esclave ; il parlait très bien leur langue et n’avait pas encore oublié la sienne. J’ai cru remarquer que la langue comanche ne manquait pas de douceur ; les mots en sont singulièrement complexes et les sons gutturaux.

Le vieux chef connaissait le pouvoir de l’eau de feu, car, un jour qu’on lui en offrait, je le vis faire un geste qui indiquait qu’après avoir bu de ce dangereux breuvage, la tête s’appesantissait, et l’on tombait dans un profond sommeil. Les Comanches passèrent quatre jours à San-Felipe sans qu’on eût à se plaindre de leur conduite. Le jeune officier texien, leur guide, avait été pris de la fièvre intermittente ; mais, grace au vieux chef, il recouvra promptement la santé. Quelques instances que je fisse, je ne pus obtenir du vieillard qu’il me communiquât son secret. En quoi consistait donc ce traitement héroïque ? Le quinquina était-il connu de l’Indien ? Cet arbre précieux n’a jamais été rencontré à la Nouvelle-Espagne, et, des régions habitées par les Comanches aux montagnes du Pérou, la distance est trop grande pour qu’on puisse un instant supposer les moindres relations. Peut-être ce vieux chef devait-il ses connaissances médicales à quelques Européens ; je serais tenté de le croire, si j’en jugeais par le fait suivant : il fit un jour venir plusieurs enfans indiens et me montra leurs bras, qui portaient des cicatrices vaccinales parfaitement légitimes. Quelle que fût l’origine d’un pareil bienfait, il est certain que ces sauvages avaient compris et adopté ce moyen d’échapper au fléau le plus terrible qu’aient à redouter les Indiens.

Dix jours plus tard, les Comanches étaient de retour à San-Felipe, et les cris sauvages dont ils faisaient retentir la forêt de l’autre côté du Brazos, nous avertissaient de leur approche. Ils attendaient que le batelier leur prêtât le secours de son bac pour traverser le fleuve ; mais depuis quelques jours la seconde crue du printemps avait commencé, et les eaux s’étaient élevées très vite à plus de 40 pieds au-dessus de leur niveau moyen. Le fleuve était couvert de débris et de gros troncs d’arbres, dont quelques-uns portaient encore