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quets de grands arbres, espèces d’îlots sur un océan de verdure. Quelquefois la forêt s’avançait jusqu’aux bords du fleuve, et le suivait dans tous ses détours. La végétation n’est pas moins riche que variée dans cette partie du Texas. Aux taxodium distichum, aux juniperus et aux pins que j’avais remarqués d’abord, succédèrent, en remontant le San-Jacinto, de magnifiques bouquets de chênes, entremêlés d’énormes magnolias à grandes fleurs. Le cyprès chauve de la Louisiane et de beaux lauriers se montraient aussi de temps en temps, et, quoique peu accidenté, le pays n’était ni monotone ni triste. Nous avions éprouvé dans la baie de Galveston un froid assez vif ; mais, à mesure que nous nous éloignions de la côte, la température s’élevait sensiblement ; l’air était très calme, et le sifflement de la vapeur troublait seul le silence de la solitude. Si la végétation était assez belle pour nous faire admirer le désert, la nature vivante, qui se montrait à nous sous des formes plus animées que neuves, suffisait aussi pour l’égayer. Des troupeaux de daims passaient dans l’éloignement ; des milliers d’oiseaux voltigeaient autour de nous ; des bandes immenses de pélicans se laissaient approcher sans témoigner la moindre frayeur, et la nappe d’eau que sillonnait le steamer était couverte de canards et d’oies sauvages. On voyait sur les arbres des deux rives une espèce de vautour qui est tolérée à la Nouvelle-Orléans sous prétexte d’utilité publique.

Lynchburg est la première ville que j’aie vue du continent texien. Elle est située sur la rive droite du San-Jacinto, un peu au-dessous du point où ce fleuve reçoit le Buffalo-Bayou. Quelques maisons formaient la ville naissante de Lynchburg, et déjà on y remarquait des chantiers en activité ; j’y ai vu un schooner en réparation, et tout indiquait une vocation commerciale pour laquelle la nature a préparé de grandes ressources. Le steamer ne s’y arrêta que le temps nécessaire pour prendre quelques passagers. Le général Houston, ex-président de la république, était du nombre. Le soir même, nous visitâmes avec lui, sur les bords du Buffalo-Bayou, dans lequel nous étions entrés, le champ de bataille de San-Jacinto. Comme la navigation devenait difficile et dangereuse pendant l’obscurité, le bateau fut amarré à de grands arbres, sur la rive gauche du Bayou, et les voyageurs s’arrangèrent pour passer la nuit de leur mieux. Les hommes de l’équipage sautèrent à terre, mirent le feu à des arbres, et se couchèrent autour du feu. Pour moi, je revins à bord, après ma petite excursion sur le champ de bataille, que je trouvai encore jonché de squelettes d’hommes et de chevaux.