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d’imposer. L’intervention éloigne tout danger d’une collision nouvelle entre la Porte et l’Égypte ; elle établit le précédent du concours de toutes les puissances dans l’arrangement des affaires d’Orient ; elle écarte toute prétention exclusive, tout protectorat isolé, et loin de compromettre la paix de l’Europe, elle lui donne, au contraire, de nouvelles et puissantes garanties. Il est également certain que toute idée de résistance disparaîtrait de l’esprit du sultan comme de celui du pacha le jour où des conditions raisonnables leur seraient proposées par une résolution ferme et unanime des cinq puissances. Mais est-il facile, à cette heure, d’arriver à cette résolution unanime ? N’y a-t-il pas quelque péril à s’engager plus avant dans des négociations si scabreuses ? Peut-on sérieusement espérer un heureux résultat ? Peut-on du moins se flatter que de vaines tentatives n’altéreront pas les relations des puissances entre elles ? Enfin ces négociations pourraient-elles être interrompues sans laisser de méfiance, sans exciter de ressentimens ?

D’un autre côté, les choses ne sont plus entières. Au fait, il y a déjà eu intervention ; il y a eu intervention le jour où l’on a arrêté le cours des hostilités. Dès ce jour, l’Europe s’est moralement engagée à procurer au pacha un arrangement convenable et proportionné à ses succès. De quel droit, autrement, aurait-elle interrompu le cours de ses victoires, surtout après l’agression inattendue de la Porte, qui avait ainsi provoqué sa propre défaite et préparé sa ruine ?

Quoi qu’il en soit, nous concevons les deux systèmes ; nous n’en concevons pas un troisième. Entre l’intervention en commun et la non-intervention, il n’y a rien de raisonnable, rien de conforme aux principes du système européen, rien qui ne compromette la paix du monde. Disons-le sans détour : tout ce qui s’écarterait de l’une et de l’autre de ces voies ressemblerait plus encore à une intrigue qu’à une négociation digne et sérieuse, et pouvant avoir d’utiles résultats.

Au reste, la question ne dépend point du bon plaisir de telle ou telle puissance. Il ne s’agit pas ici de faire la loi au sénat de Cracovie ni à la ville de Francfort. Méhémet-Ali ne se laisserait pas arracher facilement le fruit de ses longs travaux, le patrimoine de ses enfans, le fondement de sa gloire. L’Europe le connaît ; elle sait qu’il saurait au besoin s’ensevelir sous les ruines de l’empire ottoman, qu’il entraînerait dans sa chute. Il faudrait, pour soumettre le pacha, de grandes expéditions militaires, des armées, des flottes, une longue lutte. Et ce n’est pas une pensée sérieuse que d’imaginer que la Russie et l’Angleterre pourraient ainsi envahir l’Égypte, l’île de Candie et la Syrie, le reste de l’Europe se bornant au rôle plus que modeste de spectateur de leurs triomphes. Ce sont là des rêves que l’Angleterre et la Russie n’ont sans doute jamais faits, et c’est là précisément ce qui donne aux efforts des négociateurs russes un caractère subalterne, une apparence peu digne. Que veut-on, au fond, lorsqu’on a l’air de chercher ce qui est évidemment impossible ?

Au milieu de tous ces faits, une chose nous frappe : c’est une sorte d’abais-