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LE THÉÂTRE-ITALIEN.

écriront pour notre scène, ou que nous traduirons leurs œuvres lyriques. Vous savez bien que Rossini ne se fût pas arrêté au milieu de sa gloire et de sa puissance sans les dégoûts dont l’abreuvèrent la légèreté avec laquelle on traita son dernier chef-d’œuvre et le morcellement de ses représentations à l’Opéra. Vous savez bien que le Don Juan n’a pu être exprimé à ce même théâtre d’une manière satisfaisante, et qu’il a fallu changer l’emploi des voix pour lesquelles il fut écrit. Quand vous voulez l’entendre, c’est à l’Opéra-Italien, non à l’Opéra-Français que vous courez. Vous savez bien que nous ne connaissons en France ni Fidelio, ni Oberon, ni même Freyschütz. Le zèle et l’habileté de M. Véron ont échoué à faire entendre véritablement Euryanthe sur la scène française. Vous savez bien, ou du moins vous devriez savoir qu’au lieu de nous retirer l’opéra italien, il faudrait pouvoir nous doter d’un opéra allemand, et vous verrez que quelque jour vous y viendrez, entraînés que vous serez par le progrès de l’art et le mouvement des idées, vainement entravés pour quelques années peut-être par votre arrêt.

Mais vous faites là précisément ce que vous reprochez à un certain radicalisme étroit et aveugle. Vous nous privez, comme d’autant de superfluités coûteuses, des sources où la vie intellectuelle se retrempe et se purifie. Vous nous poussez à la barbarie, vous faites des lois somptuaires pour ce monde opulent que vous voulez vous conserver et qui ne s’y laisse guère prendre ; car il commence à voir que nous ne sommes pas aussi ennemis de la civilisation que pourraient le faire croire les nécessités austères d’un passé que nous ne renions pas, mais que nous ne voulons pas ressusciter.

Quand cela vous arrange, vous revenez à l’esprit de la convention, et vous vous emparez des idées d’économie que nous vous présentons quand nous demandons de sages réductions ou de généreux sacrifices dans l’emploi des deniers publics. Mais si vous voulez retourner contre nous nos propres argumens, ne le faites donc pas à propos des choses qui nous sont utiles et bonnes et qui vous le sont aussi, car nos besoins sont les mêmes, et un peu d’idéal dans votre vie ne vous ferait pas de mal. Il y a bien d’autres choses qui nous sont préjudiciables à tous et que vous votez haut la main pour des raisons que je ne veux pas vous dire, non pas que vous manquiez de courtoisie pour les entendre, mais parce que vous avez trop d’esprit pour ne pas les deviner. Je suis sûr que la jeunesse française, qui est tout artiste, se résignera plutôt à des privations qui porteraient sur sa vie matérielle qu’à celles qui l’atteindraient dans sa vie intellectuelle, et que les vexations de la douane, auxquelles chacun de nous se résigne, nous deviendront insupportables le jour où elles prohiberont les beaux-arts à la frontière comme les cotons et les tabacs étrangers.

Si la réforme électorale qui doit s’accomplir était déjà accomplie, si je parlais à des députés qui représentassent véritablement le peuple, j’oserais encore leur demander des mesures protectrices pour les arts, même au profit, en apparence exclusif, des classes riches. Je leur dirais que si le Théâtre-Italien est dans l’état des choses réservé aux plaisirs du grand monde, c’est chose assez légitime, vu qu’il est alimenté et ne peut l’être que par la richesse des hautes classes.