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fisaient à la construction du pont, dont le tablier était formé de planches recouvertes de terre mouillée.

Il est remarquable que la méthode de construction de ce pont, telle que la donne Burnes, soit précisément la même que celle que décrit Arrien, comme ayant été en usage chez les Romains, et qu’il suppose avoir été employée par Alexandre. Le passage de l’armée macédonienne a dû s’opérer, en effet, près d’Attock et de l’embouchure du fleuve de Kaboul. C’est là aussi que Tchingiskhan avait conduit la première armée mongole et établi son camp, sans cependant oser franchir le fleuve. Son descendant Timour, deux cents ans plus tard, construisit à la même place un pont de bateaux et y passa le fleuve après avoir donné audience aux envoyés de la Mecque, de Médine et de Kashmir. La position d’Attock, à l’entrée de la partie de l’Indus la plus favorable à la navigation, au bas des pentes immenses de Kaboul, devait appeler à la fois l’attention des souverains de l’Hindoustan et celle des chefs étrangers qui aspiraient à la conquête de ce pays. L’empereur Baber, qui savait aussi bien qu’Alexandre distinguer d’un coup d’œil les points stratégiques et les utiliser, indique, dans ses mémoires, quatre passages différens de l’Hindoustan dans le Kaboul, mais qui tous présentent des difficultés pour la traversée du fleuve. Il remarque qu’en hiver on arrive au Sindh (l’Indus) au-dessus de l’embouchure de la rivière de Kaboul, et que dans la plupart de ses invasions il avait pris ce chemin ; dans la dernière, seulement il franchit le fleuve en bateaux à Nilâb ; Nilâb est encore aujourd’hui situé à environ quinze milles anglais au-dessous d’Attock. Le lit du fleuve y est très rétréci, l’eau très profonde et le courant très rapide[1]. L’empereur Akbar fit construire le fort d’Attock pour protéger efficacement ce point important des frontières de l’empire. Mais les faibles princes qui succédèrent à Aureng-Zeb négligèrent la défense de l’Indus, et Nadir-Shah, en 1738, s’empara facilement d’Attock, qui, en 1809, lorsqu’Elphinstone visita ce lieu mémorable, tombait en ruines. Randjit-Singh a reconstruit ou réparé la forteresse, et la garnison en est considérable. Comme position militaire et sous le point de vue politique, Attock a donc une grande impor-

  1. Le cours moyen de l’Indus, à partir d’Attock, et même le fleuve entier paraissent avoir été désignés souvent par ce nom de Nilâb, principalement par les Arabes. — On a donné aussi ce nom à la rivière de Kaboul, et parfois le nom d’Attock, parce que les peuples à l’ouest du grand fleuve regardaient cet affluent comme le véritable Indus ; mais Rennell fait observer que les habitans de l’Hindoustan ont toujours considéré la branche N.-E. comme le vrai Sindh.