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PAULINE.

des semaines entières sans paraître devant elles ; puis, tout à coup, il redevenait assidu, se donnait un air inquiet, tourmenté, montrant de l’humeur lorsqu’il était calme, feignant l’indifférence lorsqu’on pouvait lui supposer du dépit. Cette irrésolution fatiguait Laurence et désespérait Pauline. Le caractère de cette dernière s’aigrissait de jour en jour. Elle se demandait pourquoi Montgenays, après lui avoir montré tant d’empressement, devenait si nonchalant à vaincre les obstacles qu’on avait mis entre eux. Elle s’en prenait secrètement à Laurence de lui avoir préparé ce désenchantement, et ne voulait pas reconnaître qu’en l’éclairant, on lui rendait service. Lorsqu’elle interrogeait Montgenays, d’un air qu’elle essayait de rendre calme, sur ses fréquentes absences, il lui répondait, s’il était seul avec elle, qu’il avait eu des occupations, des affaires indispensables ; mais, si Laurence était présente, il s’excusait sur la simple fantaisie d’un besoin de solitude ou de distraction. Un jour, Pauline lui dit devant Mme S…, dont la présence assidue lui était un supplice, qu’il devait avoir une passion dans le grand monde, puisqu’il était devenu si rare dans la société des artistes. Montgenays répondit assez brutalement : — Quand cela serait, je ne vois pas en quoi une personne aussi grave que vous pourrait s’intéresser aux folies d’un jeune homme ? — En cet instant, Laurence entrait dans le salon. Au premier regard, elle vit un sourire douloureux et forcé sur le visage de Pauline. La mort était dans son ame. Laurence s’approcha d’elle et posa la main affectueusement sur son épaule. Pauline, ramenée à un sentiment de tendresse par une souffrance qu’en cet instant du moins elle ne pouvait pas imputer à sa rivale, retourna doucement la tête et effleura de ses lèvres la main de Laurence. Elle semblait lui demander pardon de l’avoir haïe et calomniée dans son cœur. Laurence ne comprit ce mouvement qu’à moitié, et appuya sa main plus fortement, en signe de profonde sympathie, sur l’épaule de la pauvre enfant. Alors Pauline, dévorant ses larmes et faisant un nouvel effort : — J’étais, dit-elle en crispant de nouveau ses traits pour sourire, en train de reprocher à votre ami l’abandon où il vous laisse. — L’œil scrutateur de Laurence se porta sur Montgenays. Il prit ce regard d’une sévère équité pour un élan de colère féminine, et, se rapprochant d’elle. — Vous en plaignez-vous, madame ? dit-il avec une expression qui fit tressaillir Pauline. — Oui, je m’en plains, répondit Laurence d’un ton plus sévère encore que son regard. — Eh bien ! cela me console de ce que j’ai souffert loin de vous, dit Montgenays en lui baisant la main. — Laurence sentit frissonner Pauline. — Vous avez souf-