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Une autre critique que j’indique seulement, sans prétendre y insister, est celle-ci : Toute méthode, même la plus naturelle et la plus vraie, n’est qu’une méthode, et elle a ses bornes. On rencontre dans l’histoire des opinions humaines une quantité d’accidens où il ne faudrait peut-être apporter que le rire de Voltaire et le branlement de tête de Montaigne. En cherchant partout la loi, ne court-on pas risque quelquefois de la forcer et comme de la faire ?

On pourrait aller plus loin que les accidens, et dire : Si une certaine folie n’est pas étrangère à l’homme, même à l’homme pris en masse, en vain on tirerait argument pour la vérité nécessaire d’une idée de son triomphe en de certains siècles. Comme il faut bien, en définitive, que quelque chose triomphe, il y a aussi chance pour que ce soit quelque folie. Or, tandis que l’historien en quête des lois s’occupe surtout à distinguer et introduit parfois la raison sous les erreurs, la partie folle se dissimule sous sa plume et diminue.

Mais, je le sens, ce ne sont là que des réflexions à garder tout bas, et qui, fussent-elles vraies, demeurent peu fécondes. Ces tristes résidus de l’expérience ironique ne méritent pas même le nom de résultats ; ce sont encore moins des matières à enseignement et des aiguillons. Les monumens humains ne s’élèvent jamais que moyennant de certaines perspectives où la grandeur et l’ordre l’emportent, et où l’esprit de l’architecte s’impose sur bien des points.

Combien donc j’aime mieux me reporter et convier le lecteur vers tant d’admirables et incontestables chapitres de M. Ampère, dans lesquels il a su ressaisir la vie même des idées et des personnages qu’il exprime, Ausone, saint Paulin, Rutilius, la confession de l’autre Paulin petit-fils, d’Ausone, Sidoine Apollinaire, toutes pages à la fois graves et charmantes, qui suffiraient à caractériser dans la critique française cette manière sobre, délicate, profonde et sûre ! Non content d’avoir si bien rendu en ses détails appréciables le mouvement confus des IVe et Ve siècles, M. Ampère ; dans une petite composition à part, non encore publiée, mais que plusieurs amis ont entendue, a essayé d’en recomposer une scène entière, un coin de tableau, au moment de l’incendie de Trèves par les Francs. Son Olga (c’est le titre de cette nouvelle gallo-germanique[1]), serait comme une barque plus légère voguant à côté de l’escadre imposante, et allant toucher à des points du rivage où le gros vaisseau de l’histoire

  1. Elle se rattacherait en commentaire vivant à la fin du sixième chapitre du livre premier, tome I, page 270.