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devint chez le fils une passion principale, entraînante, une verve durable et continuelle. Chose remarquable ! lorsqu’après bien des efforts et des détours qui purent souvent lui sembler bien pénibles et lointains, M. J.-J. Ampère en vint à s’établir définitivement au cœur de l’histoire littéraire comme en son domaine propre, il se trouva y apporter précisément cette faculté d’enchaînement, ce besoin instinctif des rapports et des lois, cette sagacité investigatrice des origines et des causes, dont son noble père avait fourni de si hautes preuves dans un autre ordre de vérités. L’originalité de M. Ampère en critique consiste à donner à certaines vastes portions du champ littéraire une sorte de constitution véritablement scientifique. C’est là du fils au père, avec une heureuse variété d’application, un trait frappant de ressemblance, une reproduction à la fois intime et imprévue.

Deux tendances principales semblent s’être partagé de bonne heure l’esprit et l’imagination de M. Ampère : la tendance purement poétique et l’historique. Par la première il se sentait excité à prendre rang dans le groupe des poètes qui, dès 1819, faisaient ouïr les sons d’une lyre nouvelle. Par l’autre voix secrète, il n’était pas moins excité à se marquer une place entre les jeunes et hardis investigateurs qui, dans les dix dernières années de la restauration, allaient demander aux littératures étrangères des vues plus larges, des précédens et des points d’appui pour l’émancipation de l’art, et des termes nombreux de comparaison pour l’histoire de l’humaine pensée. Dans l’une et dans l’autre voie, M. Ampère se jeta avec tout le feu de ces années d’assaut et d’avant-garde ; mais, par la forme même de ses projets et de ses ébauches, il dénota tout d’abord son instinct des grands ouvrages et des longues entreprises.

Entre ces deux tendances, il n’y avait pas seulement émulation chez lui ; il dut y avoir quelquefois tiraillement. L’une, seule, a prévalu au dehors, et, à dater de ses spirituels articles au Globe sur Goethe (1827), M. Ampère s’est classé dans l’opinion uniquement à titre de critique. L’autre tendance est donc demeurée comme étouffée et rentrée ; mais le dirai-je ? (et les amis de M. Ampère le savent), elle n’a jamais péri. Sous cette continuité de travaux plus ou moins sévères, l’esprit de poésie n’a cessé de courir comme un ruisseau qui, pour être caché, n’en donne pas moins, aux endroits même les plus graves d’aspect, une sorte de fraîcheur et de vie[1].

  1. Toute la veine, chez M. Ampère, n’est pourtant pas restée cachée ; on a lu de