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il ne produisit pas un seul écrit tant soit peu remarquable. On perdit même les vers qu’il avait pour ainsi dire arrachés à Brittonio et à Sanazzaro. Nul patois ne fut plus humble devant le mouvement qui fondait l’unité littéraire de la nation. Ce n’est qu’à la chute de la littérature italienne qu’on le voit reparaître dans les livres ; cent ans après l’établissement de la domination espagnole, quand la poésie nationale tombe en complète décadence, il s’empare des idées populaires long-temps comprimées, il brille comme par une irradiation soudaine, et trois poètes surgissent en même temps pour représenter sous trois faces différentes l’élan plébéien qui éclatait alors avec la révolution de Masaniello.

Le chevalier J.-B. Basile est le premier de ces trois poètes : il écrivit beaucoup de mauvais vers en italien ; sa poésie est surchargée d’images bizarres, mais dès qu’il quitte la langue nationale pour le patois, il devient l’écrivain le plus naïf, le plus simple de l’Italie. Son chef-d’œuvre est le Pentamerone ou le Cunto de li cunti, ouvrage composé dans le dialecte napolitain. Voici le sujet du Pentamerone. Le roi de Monterunno a été transformé en statue par un nécromant, il ne reviendra à la vie que lorsque une jeune fille remplira trois seaux de ses larmes. La tâche est difficile, et le roi gît dans son mausolée depuis plusieurs siècles. Dans un autre royaume très éloigné se trouve une princesse sage comme Zoroastre et sérieuse comme Héraclite : elle n’a jamais ri une seule fois de sa vie. Son père a tout essayé pour dissiper sa mélancolie, il a donné toute sorte de fêtes ; il a fait un appel à tous les charlatans de la terre ; le mal résiste à ses efforts. Un jour il imagine de faire placer une fontaine d’huile dans la rue, de manière à arroser la foule ; il espère que les cabrioles des passans, étourdis par cette pluie artificielle, mettront sa fille en bonne humeur. L’expédient réussit ; une sorcière, qui passe dans la rue, fait une culbute si grotesque, que la princesse éclate de rire. Tout le monde se réjouit ; mais la sorcière se venge en condamnant Zoza (c’est le nom de la princesse) à épouser le roi de Monterunno. Zoza s’enfuit du palais de son père pour aller à la recherche de son mari ; avec le secours de deux fées bienveillantes, elle arrive dans le royaume de Monterunno ; elle va droit à la statue du roi, et commence à répandre un ruisseau de larmes dans les trois seaux magiques qui sont attachés au mausolée. Elle passe deux jours dans cet état, les seaux sont presque remplis, mais déjà elle tombe de lassitude et de sommeil. À la fin du troisième jour, elle s’endort ; une négresse esclave qui l’avait épiée lui dérobe les seaux et achève de les remplir. Aussitôt la statue se lève, marche, et la négresse épouse immédiatement le roi de Monterunno. On comprend la douleur de Zoza à son réveil ; cependant elle espère dévoiler la fraude, et pour se tenir à l’affût d’une occasion favorable, elle va se loger dans un palais situé en face de celui du roi. La négresse, devenue enceinte, se livre à toute sorte de caprices : elle demande les plus rares merveilles du royaume des fées ; bientôt il lui prend envie d’entendre raconter des histoires ; le roi, qui est infatigable quand il s’agit de lui complaire, fait rassembler toutes les dames de la cour ; il en choisit dix, entre autres Zoza, et les charge de satis-