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posé cinq volumes de mélanges, tout-à-fait précieux pour les amis des curiosités littéraires. Hartley-Coleridge, Croker et Wilson ont tour à tour fixé l’attention du public, curieux de pénétrer le mystère de cet ouvrage anonyme ; mais on croit en général que ces amusans volumes appartiennent à Southey.

C’est une intelligence rare que celle de Robert Southey ; naturellement féconde, ardente et profonde, enrichie par une culture incessante, elle ne s’est point desséchée au souffle de la vieillesse. Elle a perdu son luxe, son audace, son exubérance, son désir d’usurpation épique, son utopie universelle ; elle est restée active, tendre, rêveuse, méditative et savante. Entre Robert Southey et Charles Nodier, les personnes rares qui connaissent à fond les deux peuples et leurs produits littéraires trouveront plus d’un rapport. L’Angleterre a su favoriser le développement de son historien et de son philologue, et l’apprécier dignement : pour nous, Français, qui prétendons aimer l’intelligence, nous jouissons d’elle en l’écrasant, en la décourageant, en la faisant martyre et en calomniant sa force. À peine l’Académie française, armée de sa récompense annuelle de douze cents francs de pension, est-elle venue, aux dernières années de Charles Nodier, couronner cette science multiple, ces connaissances philologiques, cet art profond du style, cette inspiration mélancolique, cette exquise et vaste organisation de poète et d’érudit. Nodier n’avait pas assez fait, disions-nous, c’est-à-dire qu’il n’avait pas créé d’assez gros volumes. Cependant l’auteur de vingt gros volumes compilés, sans critique et sans style, s’endormait insolemment sur des tonnes d’or, et les créateurs exclusifs de quelques énormes dictionnaires mahrattes ou tcherkesses, allaient dormir aussi à l’Institut, en qualité de génies. Nous voulons des volumes ; nous en voulons. La France n’a pas de plus triste symptôme de sa légèreté cruelle que cet amour des volumes et ce respect pour le poids. Elle ne juge plus, elle pèse. Il ne lui faut pas un grain d’or, mais un monceau de plomb. Les cent tomes de M. Delille de Sales, de l’Académie française, ont donné à ce personnage beaucoup de consistance. Quant à ces autres esprits amoureux de la vérité, semant au hasard les rayons lumineux qu’ils concentrent, quant à ces ames sérieuses, à ces intelligences fortes qui préfèrent la valeur intrinsèque d’une phrase et le prix d’une idée à l’ordre extérieur des chapitres et à la multitude des pages, nous ne les apprécions en France que fort tard. Grands esprits : « Pascal » et ses fragmens ; « Vauvenargues » et ses fragmens ; « La Rochefoucauld » et ses fragmens ; ils ont peine