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« Mon cher Plaute, vous êtes provisoirement ruiné ; je vous ai trompé, il ne s’agit pas de lecture dans votre visite ; je veux devenir votre banquier… Avez-vous besoin de vingt ou trente mille francs ?… J’en ai fait autant en émigration pour Mathieu de Montmorency… » Touché de tant d’amitié prévenante, M. Lemercier refusait délicatement ; mais, poussé avec insistance en ses derniers retranchemens, il fut forcé de promettre à Corinne de ne point emprunter à d’autres.

Le malheur a ses jouissances en ce qu’il révèle les affections loyales et sincères : l’auteur d’Agamemnon dut le comprendre à plusieurs marques de touchant intérêt qui partaient du cœur. M. Thénard, par exemple, lui offrait la moitié de son traitement, sa seule richesse, et M. Dupuytren, dont les momens valaient tant d’or, lui donnait, pendant près de trois ans, et seulement pour le distraire, des leçons assidues d’anatomie. Ces amitiés de savans illustres inspirèrent de plus en plus à M. Lemercier une sympathie curieuse pour les sciences physiques, qui le poussa à la composition de l’Atlantiade, poème bizarre et long-temps rêvé que nous retrouverons tout à l’heure.

Après la suspension de sa pièce, M. Lemercier, toujours ardent, ne se tint pas pour battu. L’année suivante, en 1809, il risqua une dernière tentative : c’était une comédie, ou plutôt un drame tout-à-fait romantique, qui, sous Napoléon, indiquait autant de hardiesse au moins et d’originalité qu’on en a vu depuis dans Cromwell et dans Henri III, car le Germanicus d’Arnault est plus loin de Colomb que Colomb ne l’est d’Hernani.

Bien que je n’approuve guère ce mélange des genres, et que Colomb ne soit, à mon sens, que la tentative de Hénault avec les vers de plus, il me paraît impossible de nier la verve singulière qui éclate dans certaines scènes de cette œuvre, et je répète volontiers le mot de Mme Guizot à propos de Colomb : « Chaque succès de M. Lemercier est une conquête. » Seulement, Mme Guizot assure qu’elle ne craint pas d’être indulgente, parce que les éloges ne sont pas ici dangereux pour l’exemple. Ceci sent trop sa date de 1809 ; depuis, M. Lemercier lui-même s’est vu de beaucoup dépasser : mais, comme tous ceux qui commencent les révolutions, il se hâta de faire retraite, et fut vite de la résistance ; par là il s’effaça et dut disparaître derrière le feu de la mêlée.

Le succès de la première représentation de Colomb avait été un peu surpris à un public étonné. Le lendemain, la pièce fit scandale auprès des classiques ; on s’indigna de l’audace d’un écrivain qui