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payer la rançon, un père diseur de préceptes moraux et qui fait une déclaration à la maîtresse de son fils, un esclave chargé de trouver de l’argent et dont l’esprit s’anime par la crainte du bâton ; par-dessus tout cela, Plaute mêlé à l’intrigue, qui devient pour lui un sujet de comédie ; au dénouement, l’avare puni, le libertinage du père confondu, le fils ramené à la fidélité amoureuse, le poète enfin retrouvant ses manuscrits avec son or : c’est bien là en effet un tableau auquel eussent souri les contemporains de Lucrèce. Sans doute, la crudité choquante des mœurs romaines a quelque peu disparu, et l’on pourrait objecter que la maîtresse de Leusippe est plutôt une veuve enjouée de la connaissance de Marivaux, qu’une de ces courtisanes effrontées de la scène latine. Le père, à son tour, n’est pas aussi cynique que les pères de Plaute ; il ne fait pas avec son fils cet ignoble marché de possession préalable qui révolte dans l’Asinaria, Mais à Dieu ne plaise que ce soit là un reproche !

La pièce, en son dialogue vif et étincelant d’esprit, était écrite dans le mètre difficile et libre de l’Amphitryon de Molière, que Voltaire lui-même n’a guère su manier au théâtre. Un prologue sémillant et ironique, à la manière des anciens, ouvrait la scène. Après quelque lutte, un succès franc l’emporta. À part toute intention latine, on peut remarquer que c’était déjà une ingénieuse conception que de représenter le poète comique faisant agir des personnages réels et les peignant à mesure qu’ils agissent. Je me rappelle bien, il est vrai, une pièce de Boursault où Ésope fait des fables comme Plaute fait ici des scènes ; je me rappelle encore le Térence de Goldoni, auquel M. Lemercier n’a rien emprunté d’ailleurs ; mais là cette idée ingénieuse est à peine indiquée, et on n’en a tiré aucun profit.

Tant d’esprit ne trouva pas grace devant l’humeur de Geoffroy, et il commençait son article par ces mots : « Quel poète usant et jouissant de toutes ses facultés, etc… » Cette colère factice déguisait mal la flatterie à Napoléon. La vraie critique, comme on pense, ne s’en tint pas à ces injures. En somme pourtant, les journaux de l’empire, hostiles aux innovations, appuyaient peu le poète. Arnault (singulier inventeur !) avait créé dans le Propagateur ce que nous nommons encore feuilletons : accroché des premiers, comme Montfaucon, à ses propres fourches patibulaires, il ne fut pas seul victime de l’invention. C’était aussi pour M. Lemercier, à chaque œuvre produite, à chaque effort, une ligne ennemie qu’il devait traverser seul, sans escorte. Ce génie entreprenant avait assez de ses