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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

se hâtait de répondre :

Il faut en homme libre attendre qu’on t’arrête.

La pièce était pleine d’intentions comiques, et on trouva surtout ingénieuse la scène où Orgon, au lieu de se cacher sous une table, était enfermé dans une armoire sur laquelle on avait mis les scellés. Tout, d’ailleurs, avait la couleur du temps, et l’exempt de Molière était remplacé par les bons et loyaux républicains de la section. Mais le directoire, effrayé du succès de la comédie, la fit défendre à la cinquième représentation.

On vit encore, mais à tort cette fois, des allusions politiques dans les trois actes du Lévite d’Éphraïm, donné en 1796. Certains journaux montrèrent dans Abaziel le portrait de Robespierre, et la foule appliqua même aux circonstances présentes quelques vers fort innocens. Talma, qui débutait avec bruit, commença à se mettre hors de ligne dans le rôle du lévite, et eût suffi seul à attirer les applaudissemens.

Enfin, le 2 avril 1797, Agamemnon fut représenté au Théâtre-Français. Jusque-là, M. Lemercier, comme il l’a écrit lui-même, n’avait donné que de faibles essais, qui promettaient cependant un vrai poète dramatique. Esprit varié et fécond, il s’était dispersé déjà en essais de toute sorte, qui montraient à l’avance l’inquiétude d’un talent original cherchant sa destinée. La tragédie mythologique dans Méléagre, la tragédie anglaise dans Clarisse, le pamphlet théâtral dans le Tartufe révolutionnaire, la scène biblique dans le Lévite d’Éphraïm, tout cela avait été tenté. Mais M. Lemercier ne trouva pour la première fois sa vraie route qu’en remontant hardiment à la Grèce. Le succès d’Agamemnon fut immense, et l’auteur, qui n’avait pas vingt-cinq ans, fut regardé dès-lors comme un maître. Arnault, dont le ton est d’ordinaire fort dédaigneux pour ses rivaux au théâtre, avoue cependant que l’enthousiasme fut universel, et que l’éclat de ce succès effaça ceux de ses amis et tous les siens. Je suppose qu’il mettait à part Marius à Minturnes. La critique fut unanime pour louer ce bel essor de talent qui montrait chez un tout jeune homme la maturité d’une étude réfléchie de l’art. Le Magasin Encyclopédique de Millin parla de vernis homérique, le Moniteur de goût antique ; la Décade le mit d’un coup au-dessus d’Eschyle, ce que je n’oserais faire assurément, et le déclara bien supérieur à Sénèque et à Thomson, ce que je fais sans la moindre hésitation.

Toutefois la pièce n’eut pas immédiatement au théâtre le succès