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PAULINE.

rence un certain soir où Pauline, étonnée, effarouchée de voir le cercle habituel s’agrandir d’heure en heure, commençait à souffrir du peu d’ampleur de sa robe noire et de la raideur de sa collerette. Dans ce cercle, elle remarquait plusieurs actrices toutes jolies ou du moins attrayantes à force d’art ; puis, en se comparant à elles, en se comparant à Laurence même, elle se disait avec raison que sa beauté était plus régulière, plus irréprochable, et qu’un peu de toilette suffirait pour l’établir devant tous les yeux. En passant et repassant dans le salon, selon sa coutume, pour préparer le thé, veiller à la clarté des lampes et vaquer à tous ces petits soins qu’elle avait assumés volontairement sur elle, son mélancolique regard plongeait dans les glaces, et son petit costume de demi-béguine commençait à la choquer. Dans un de ces momens-là, elle rencontra précisément dans la glace le regard de Montgenays, qui observait tous ses mouvemens. Elle ne l’avait pas entendu annoncer ; elle l’avait rencontré dans l’anti-chambre sans le voir lorsqu’il était arrivé. C’était le premier homme d’une belle figure et d’une véritable élégance qu’elle eût encore pu remarquer. Elle en fut frappée d’une sorte de terreur ; elle reporta ses yeux sur elle-même avec inquiétude, trouva sa robe flétrie, ses mains rouges, ses souliers épais, sa démarche gauche. Elle eût voulu se cacher pour échapper à ce regard qui la suivait toujours, qui observait son trouble, et qui était assez pénétrant dans les sentimens d’une donnée vulgaire pour comprendre d’emblée ce qui se passait en elle. Quelques instans après, elle remarqua que Montgenays parlait d’elle à Laurence, car, tout en s’entretenant à voix basse, leurs regards se portaient sur elle. Est-ce une première camériste ou une demoiselle de compagnie que vous avez là ? demandait Montgenays à Laurence, quoiqu’il sût fort bien le roman de Pauline. — Ni l’une ni l’autre, répondit Laurence. C’est mon amie de province dont je vous ai si souvent parlé. Comment vous plaît-elle ? — Montgenays affecta de ne pas répondre d’abord, de regarder fixement Pauline ; puis il dit d’un ton étrange que Laurence ne lui connaissait pas, car c’était une intonation mise en réserve depuis long-temps pour faire son effet dans l’occasion : — Admirablement belle, délicieusement jolie ! — En vérité ! s’écria Laurence, toute surprise de ce mouvement ; vous me rendez bien heureuse de me dire cela ! venez, que je vous présente à elle. — Et, sans attendre sa réponse, elle le prit par le bras et l’entraîna jusqu’au bout du salon, où Pauline essayait de se faire une contenance en rangeant son métier de broderie. Permets-moi, ma chère enfant, lui dit Laurence, de te présenter un de