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sonnes et les choses sont devenus depuis quelque temps matière à des publications légères, périodiques, qui, sous cette forme nouvelle, ont assez réussi pour qu’on s’en occupe en passant et qu’on en relève l’espèce d’influence commençante. Il s’agit des Guêpes de M. Alphonse Karr, qui en sont à leur quatrième livraison du 1er février. Dans les trois premières, l’auteur a su amuser avec malice sans être par trop méchant. Qu’il y prenne garde pourtant : l’écueil est là. Il est difficile en ce métier de persévérer sans passer outre ; on ne pique pas au premier sang, aussi long-temps qu’on veut, et il vient un moment où l’action l’emporte et où l’on ne calcule plus. M. Karr a eu l’idée de dire dans ses Guêpes ce qu’on ne lui laisserait dire dans aucun journal, car tout journal a son genre de vérités particulières à l’usage des rédacteurs et des abonnés. Mais ce n’est pas tel ou tel journal qui a seulement ce genre de vérités restreintes, c’est la société elle-même qui ne peut jamais entendre qu’une portion de vérités, et, dès qu’on en est avec elle aux personnes, cette limite est bien vite atteinte. M. Karr a-t-il été toujours vrai dans ce qu’il a dit jusqu’ici ? S’il n’a guère pour son compte d’animosités bien vives, n’a-t-il pas eu déjà ses complaisances ? Et qu’est-ce que des Guêpes parfois complaisantes ? Nous n’en voulons que tirer une conclusion, c’est que, si isolé qu’on se fasse, si désintéressé de tout et si moqueur absolu, on tient toujours à quelque chose ou à quelqu’un, ce qui est heureux, mais ce qui gêne le métier. Je concevrais plutôt encore une indignation réelle, sincère, ardente, souvent injuste, une vraie Némésis ; mais ces guêpes, si acérées qu’elles soient d’esprit, pourtant sans passion aucune, ces guêpes-là ne peuvent aller long-temps sans se manquer à elles-mêmes. Comme tous les recueils d’épigrammes, même des meilleures, les Guêpes de M. Karr n’échappent pas à l’épigraphe de Martial : Sunt bona, sunt quædam mediocria, etc. ; il suffit qu’il y en ait de fort piquantes, en effet, et que l’auteur y fasse preuve en courant d’une grande science ironique des choses. On voudrait voir tant d’esprit et d’observation employé à d’autres fins. Et puis il y a fort à craindre que ces Guêpes ne pullulent ; on parle déjà d’imitations ; allons ! le Charivari ne suffisait pas ; nous aurons mouches et cousins par nuées.


Confession générale, par M. Frédéric Soulié[1]. — Le Diable de M. Soulié devient bien vieux ; mais, quoiqu’il se confesse aujourd’hui, ce n’est point pour se faire ermite. Ce démon, cette muse inépuisable du romancier, si l’on aime mieux, loin de pratiquer le silence et la retraite, abonde plus que jamais en interminables histoires. Ce sont encore et toujours des récits bien mélodramatiques, bien compliqués, des aventures bien invraisemblables, dont le public des cabinets de lecture peut s’amuser de plus en plus, mais où se complaisent un peu moins les esprits sensibles à la délicatesse de l’art. Je ne veux pas contester la verve de M. Frédéric Soulié, une certaine puissance habile qu’on s’accorde assez à lui reconnaître, et qui rencontre souvent des combinaisons intéres-

  1. Deux volumes in-8o, chez Souverain, rue de Seine.