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LETTRES POLITIQUES.

sécurité pour le pays, et honneur pour lui-même. D’une part, il a sagement évité à la France les périls d’une crise ministérielle, de l’autre il a contraint le ministère à se livrer à lui sans réserve. Telle est, en effet, la position du cabinet sorti de la coalition qu’il ne saurait dire une parole, ou accomplir un acte de nature à blesser l’ancienne majorité, sans signer par cela seul l’arrêt de sa chute immédiate. Les 221 font plus qu’occuper le pouvoir, ils le dominent, et sont en mesure de lui faire des conditions plus sévères que s’ils l’exerçaient eux-mêmes. M. le ministre de l’instruction publique s’est placé le premier, et ses collègues l’ont bientôt suivi sur le terrain dont l’opinion conservatrice ne pouvait les repousser sans se manquer à elle-même. En cela, M. Villemain s’est quelque peu écarté de la ligne de conduite qu’il avait si vivement poursuivie pendant la coalition ; mais ce n’est pas à nous de l’en blâmer. La voie où il s’est engagé avec talent et avec courage a décidé des convictions jusqu’alors indécises ; il s’est concilié la majorité en n’hésitant point à se rallier à son drapeau. Il était juste que le ministère fit toutes les avances dans ce traité, dont la conséquence n’était rien moins que le maintien de la politique suivie avant lui ; à cet égard, il a su accepter de bonne grace toutes les nécessités qui lui étaient faites, et il a scellé l’alliance en se préoccupant moins des intérêts de sa vanité que de ceux de sa position.

La réforme électorale est le champ de bataille choisi pour rallier le parti conservateur : autant ce terrain qu’un autre ; on peut trouver seulement que la question est trop peu sérieuse, et ne tranche pas assez dans le vif. Quand je dis qu’elle n’est pas sérieuse, on comprend que ce n’est pas en ce qui se rapporte au plan de réforme du comité radical : ici au moins il y a une pensée hardie, une machine formidable dont on mesure la portée ; c’est une tentative qui ne va à rien moins qu’à changer l’esprit et les formes du gouvernement. Mais savez-vous quelque chose de plus parfaitement niais que la mesure délibérée par le comité de la gauche constitutionnelle, et imposée par le caprice de quelques journalistes aux hommes politiques de ce parti ? Y a-t-il une pensée dont la France se préoccupe moins, connaissez-vous rien de plus dénué d’originalité, de portée politique et de vie populaire ? Comment l’honorable M. Barrot n’a-t-il pas compris que toute cette agitation s’opérait au profit d’une autre pensée que la sienne ? Comment a-t-il consenti à subir la responsabilité d’une conception bâtarde qui ne rencontre de sympathie dans aucun des grands partis nationaux ?