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contraire, les jugemens synthétiques n’expliquent pas et ne développent pas une connaissance déjà acquise, mais qu’ils ajoutent à cette connaissance une connaissance nouvelle, Kant appelle les jugemens synthétiques jugemens extensifs, parce qu’en effet ils étendent nos connaissances (Erlauterungs — Erweiterungs Urtheile).

Il faut maintenant distinguer deux classes de jugemens synthétiques. Le caractère commun des jugemens de cette espèce est de rapporter à un sujet un attribut qui n’y était pas renfermé logiquement. Or, cette connexion, que nous affirmons entre le sujet et l’attribut, peut nous avoir été donnée de deux manières : ou bien c’est l’expérience qui nous l’a révélée, ou bien nous l’établissons à priori, indépendamment de l’expérience. Les corps sont pesans, tout changement suppose une cause, sont deux jugemens synthétiques, car ni la notion de pesanteur n’est renfermée dans celle de corps, ni la notion de cause dans celle de changement ; mais ces deux jugemens diffèrent en ce que, dans le premier, c’est l’expérience qui nous a attesté la réalité de la connexion entre l’idée de pesanteur et celle de corps, tandis que, dans le second, ce n’est pas l’expérience qui a pu nous faire voir la réalité de la connexion entre l’idée de cause et celle de changement. En effet, l’expérience ne donne que des successions de faits, et jamais un rapport tel que celui de causalité. Les jugemens synthétiques sont donc de deux espèces. La vérité des uns repose sur l’expérience, et Kant les appelle jugemens synthétiques à posteriori ; la vérité des autres ne repose pas sur l’expérience, mais sur la raison seule, et Kant les appelle jugemens synthétiques à priori.

Faites encore cette remarque que les jugemens analytiques sont eux-mêmes des jugemens à priori, car la réalité de la connexion qu’ils expriment n’est pas donnée par l’expérience, elle repose sur le principe de contradiction qui affirme que le même est le même. Ainsi, à moins de résoudre le principe de contradiction dans l’expérience, il faut admettre que tous les jugemens analytiques sont aussi non empiriques à priori.

Si toutes ces distinctions de Kant sont fondées, nous sommes maintenant en état d’apprécier deux assertions célèbres, savoir, 1o que toutes les connaissances humaines dérivent de l’expérience sensible ; 2o que tous les jugemens humains sont soumis à la loi d’identité.

Il est faux que toutes les connaissances humaines dérivent de l’expérience sensible, car toute connaissance se résout en une proposition, et toute proposition en un jugement analytique ou synthétique, à priori ou à posteriori. Or, premièrement, les jugemens analy-