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qui l’auront amené. Les intérêts seront plus éclairés, les passions moins violentes, les tempéramens et les transactions plus faciles. Le monde réel ne marche jamais que de transaction en transaction. La transaction sera-t-elle prompte ou retardée, sanglante ou non ? Il n’y a jamais d’autre question dans les crises politiques. Le jour où les masses comprendront cette vérité, les luttes seront courtoises, les accommodemens prompts et équitables. C’est l’ignorance qui le plus souvent rend les combats opiniâtres. Quoi qu’en disent les ennemis de l’instruction générale, tout comprendre, c’est peser tous les droits, excuser toutes les faiblesses ; toute lutte acharnée devient alors impossible. On a peut-être moins d’énergie, moins de dévouement, moins d’enthousiasme pour sa cause ; on y apporte plus de raison, plus d’habileté, plus de mesure. L’élan est moins grand, mais le succès est certain, sans regrets, sans complications, sans retours ; et, ce qui plus est, l’avenir ne se trouve pas enchaîné par les souvenirs et la terreur du passé.

Mais si du général on descend au particulier, et du possible au réel, que doit-on penser de la révolution française ? La France de 1789 étant donnée, avec ses prolétaires ignorans et grossiers, ses paysans misérables et opprimés, ses nobles sans aucune expérience politique, pleins la plupart de sottise et de vanité, ses bourgeois si inégalement éclairés et presque tous étrangers au maniement des affaires, une école philosophique tranchante, passionnée, ne tenant aucun compte de l’histoire, des parlemens irrités et ne reconnaissant d’autre liberté que la lutte de la robe avec les ministres, d’énormes abus à réformer, de grands sacrifices à demander, d’antiques possessions à contester, des intérêts très compliqués à concilier, pouvait-on espérer, était-il dans les possibilités humaines qu’il y eût une solution pacifique de l’effrayant problème que la révolution venait de poser ? Je ne le pense pas. Et qui donc aurait pu le résoudre ? ceux qui ne le comprenaient pas du tout ? ceux qui n’en avaient encore qu’une connaissance instinctive et confuse ? c’était le plus grand nombre ; ceux qui le comprenaient, mais voulaient le dépasser ? ou bien ceux qui, tout en voulant se renfermer dans de justes limites, pliaient cependant sous le joug d’une philosophie spéculative et orgueilleuse, ou enfin ceux qui voulaient importer en France, pays, depuis le 4 août 1789, de démocratie et d’égalité civile, non l’imitation, mais le calque des institutions anglaises ? Certes, nous ne voulons, par nos paroles, justifier aucun crime, excuser aucun excès. Il