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HISTOIRE DE LOUIS XVI.

désirer, il est complet. Ce n’est pas là une entreprise avortée ou interrompue, un de ces ouvrages qui ne laissent apercevoir qu’une pensée qui n’a pas eu le temps ou les moyens de se réaliser tout entière.

Il est cependant une question qu’on peut élever, c’est celle-ci : Le point de vue de M. Droz est-il heureusement choisi ? lui permettait-il de voir le sujet sous ses faces principales, en plein, d’en pénétrer tous les replis ? le voyait-il d’assez haut ? s’en est-il fait une juste idée ? Au lieu de chercher ses données dans les réalités de la révolution ; n’a-t-il pas écrit sous l’inspiration d’une idée systématique, d’une noble pensée malheureusement démentie par les faits ? En d’autres termes, est-il vrai que la révolution française ait pu être prévenue ou dirigée ?

Ici l’équivoque est facile, car la réponse peut être différente selon le point de vue, général ou particulier, où l’on se place. En effet, que veut-on dire ? Qu’il n’y a jamais eu, qu’il n’y aura jamais de révolution, de rénovation politique ou sociale qui puisse être contenue et dirigée, qui s’accomplisse sans briser, sans réduire en poussière tout ce qui en gêne et en retarde la marche ? Ce serait là une erreur insoutenable, le fatalisme dans l’histoire, la négation du progrès ; il y a plus, ce serait une intolérable contradiction. Car ces grandes rénovations sociales supposent dans les peuples des besoins nouveaux, une civilisation de plus en plus élevée, un progrès, tandis que imaginer des résistances toujours aveugles, des haines toujours implacables, regarder la violence, les proscriptions, le crime, comme des faits à tout jamais inévitables, c’est dire que l’homme moral reste toujours le même, que les nations n’avancent qu’en prospérité matérielle, qu’il n’y aura jamais de progrès pour la raison et la morale publiques, pour le gouvernement des passions humaines. Dans ce cas, nous devrions souscrire aux opinions dédaigneuses de ces esprits frondeurs et chagrins pour qui le progrès n’est qu’un vain mot ; il faudrait croire avec eux que l’humanité, toujours condamnée aux mêmes erreurs, toujours subjuguée par les mêmes passions, tourne incessamment sur elle-même.

Loin de nous cette pensée ; et pour en revenir aux réformes sociales et politiques, nous sommes profondément convaincu que le jour arrivera où ces grandes mutations dans la forme et le gouvernement des états s’opéreront sans que la justice et la morale, en applaudissant au résultat, aient en même temps à gémir des moyens