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y conduisaient. Les Pisans crurent néanmoins qu’ils auraient aussi bon marché de Ravello et de la Scala que d’Amalfi, ces villes étant dépourvues de leurs milices les plus braves ; mais la petite garnison du château de la Fratta repoussa héroïquement toutes les attaques des Pisans. Ils livraient un dernier et terrible assaut, quand l’armée des Amalfitains, partie en toute hâte de ses quartiers d’Aversa, parut tout à coup sur les hauteurs voisines ; le roi Roger la conduisait en personne à travers les défilés du mont Cereto, réputés jusqu’alors inaccessibles. À cette vue, les généraux pisans font cesser l’attaque et rappellent leurs soldats ; mais, avant qu’ils aient eu le temps de se reconnaître, les milices d’Amalfi se précipitent sur eux du haut des montagnes, au cri de Vengeance et saint André ! et les rejettent confusément du côté du ravin. Resserrés entre l’extrême bord du précipice et les piques des Amalfitains, la plupart furent pris ou tués. Des deux consuls de Pise, Alzopardo et Cane, l’un mit bas les armes avec un corps de quinze cents soldats, l’autre fut égorgé dans la mêlée. La défaite des Pisans fut complète ; leur flotte, ayant recueilli à la hâte un petit nombre de fuyards, appareillait en désordre, quand les galères d’Amalfi et de Sicile, échappées à la surveillance de la division pisane laissée devant Naples, apparurent, doublant le promontoire de la Conque, et fondirent sur la flotte fugitive. La plupart de ses vaisseaux qu’alourdissait un riche butin furent coulés à fond en essayant de se défendre ; les meilleurs voiliers, secondés par un vent favorable, échappèrent seuls aux confédérés[1].

Amalfi était vengée, mais cette première invasion pisane n’en avait pas moins porté un coup mortel à sa prospérité. Ses arsenaux étaient détruits, ses trésors épuisés, ses temples et ses palais dévastés, et son commerce interrompu ; de plus, elle avait désormais à redouter l’inimitié des Pisans. Ce ne fut pourtant que deux ans plus tard que ceux-ci, auxiliaires dévoués du duc Sergius et de Robert de Capoue qui se défendaient toujours dans Naples, armèrent de nouveau cent galères auxquelles se joignirent un nombre égal de vaisseaux génois. Cette flotte devait assiéger Salerne, capitale des états du roi Roger en Italie ; elle devait surtout venger Pise du désastre de la Fratta. Ce fut un jour fatal pour Amalfi que celui où cette formidable flotte se déploya sous ses murailles et la somma d’ouvrir ses portes. Cette fois elle perdit plus que des hommes et des richesses, elle perdit le prestige moral qui jusqu’alors l’avait soutenue ; ses citoyens, qui, en 1096, avaient si courageusement repoussé les assauts répétés de trois princes normands secondés de vingt mille Sarrasins, et que le roi Roger n’avait pu soumettre qu’après une longue suite de combats, ne songèrent pas même cette fois à résister aux Pisans. Il semble qu’en perdant leur indépendance, ils avaient perdu aussi tout courage et toute énergie. Ils se rendirent à merci, offrant de se racheter du pillage à prix d’or : c’était là tout ce que voulaient les Pisans. Ils exigèrent de la malheureuse ville des sommes si considérables, que sa ruine fut en quelque sorte consommée[2].

  1. Ab. Telesin., lib. III, cap. IV.
  2. Chron. Benevent., an. 1137.