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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

dans la terre de Labour, ils laissèrent la moitié de leur flotte à l’entrée du golfe pour observer l’ennemi, et firent voile vers Amalfi avec l’autre moitié. Le 19 août 1135, au point du jour, les habitans de cette ville, étonnés de voir leur rade couverte de navires, s’imaginèrent que leur flotte revenait de Naples, et ouvrirent la chaîne du port pour la recevoir. Les Pisans profitèrent de leur erreur, ne leur donnèrent pas le temps de se reconnaître, forcèrent l’entrée du port, couvrirent le rivage de leurs soldats, pénétrèrent dans la ville dépourvue de défenseurs, et la mirent au pillage[1]. Le sac dura trois jours, durant lesquels les Pisans transportèrent sur leurs navires d’immenses richesses enlevées aux temples et aux palais d’Amalfi. Le fameux exemplaire des Pandectes qu’on voit aujourd’hui à Florence à la bibliothèque Laurenzienne faisait partie de ces dépouilles.

Le double but que les Pisans se proposaient en dévastant Amalfi, était rempli ; ils avaient secouru les Napolitains leurs alliés, et détruit leurs rivaux. Les Pisans mettaient déjà en pratique cette politique des puissances maritimes, qui pensent qu’on ne peut brûler assez de vaisseaux, ni détruire assez d’arsenaux : c’est une manière comme une autre d’amortir la concurrence. Mais, enivrés par leur facile victoire, les Pisans prolongèrent imprudemment leur séjour dans la ville dévastée ; il y a plus, ils résolurent d’emporter de vive force les deux villes de Ravello et de la Scala, qui passaient pour très riches. La Scala, construite sur la roche de Cama, a donné, on le sait, naissance à Amalfi, qui de ces rocs est descendue vers la mer. Ravello est bâtie comme la Scala sur un rocher, et semble détachée de cette dernière ville par le profond ravin d’Atrani. La Scala était toujours restée soumise à Amalfi ; Ravello, fondée vers le IXe siècle par les riches patriciens de la république, dans l’une des plus admirables situations du midi de l’Italie, s’en était séparée du temps de Robert Guiscard. Sa population, chose incroyable quand on connaît le site sauvage que cette ville occupait, s’élevait à plus de quarante mille habitans, et ses citoyens étaient les plus riches et les plus fiers des habitans de la contrée. Quand les Amalfitains s’étaient soulevés contre Robert Guiscard, en 1080, l’opulente ville des montagnes lui était restée fidèle, mais plutôt pour se déclarer indépendante d’Amalfi, sa puissante voisine, que par dévouement à la nouvelle dynastie normande. Ravello, avant sa rébellion, s’appelait Toro ; depuis, les Amalfitains l’avaient appelée Rebello d’où Ravello par corruption. Ses ruines singulières, et quelquefois magnifiques, nous montrent quelle était alors sa richesse. Sa rébellion contre Amalfi lui avait du reste été profitable, Robert lui ayant donné un évêque et des franchises.

De la plate-forme élevée où est bâtie cette ville, on jouit d’un horizon admirable ; l’air qu’on y respire est pur et balsamique ; la terre, couverte de figuiers, de vignes, de mûriers et d’arbrisseaux résineux de toute espèce, y est d’une merveilleuse fertilité. Cette riche plate-forme était inaccessible comme celle de la Scala, et le château de la Fratta commandait les rudes sentiers qui

  1. Ab. Telesin., Rer. a Rogerio gest., lib. III, cap. IV.