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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

avaient acquis un immense développement, et ses galères faisaient presque à elles seules tout le commerce de l’Orient. Pendant les dernières années du Xe siècle, il avait couru dans l’Occident une prophétie qui annonçait la fin du monde pour l’an 1000 ; cette prophétie avait frappé l’imagination des peuples ; alors chacun croyait, la ferveur était grande dans toutes les classes de la société, et tous, innocens ou coupables, n’avaient plus songé qu’à une seule chose, à faire pénitence et à paraître devant Dieu. Les pèlerinages au tombeau du Christ, sur cette terre sainte où le chrétien en débarquant se trouve absous de tous ses crimes, étaient vers cette époque devenus très fréquens. Tous les esprits aventureux, tous les pécheurs énergiques, avaient pris le chemin de la Judée, et chaque année les états maritimes de l’Italie avaient conduit et ramené des légions de ces mystiques aventuriers.

Un peuple négociant applique à tout son industrie. Dès le principe, les Amalfitains s’étaient chargés du transport des pèlerins qui souvent les payaient richement. Il arriva que, dans la première année du gouvernement de Petrella, des galères d’Amalfi ramenèrent à Salerne quarante chevaliers normands qui venaient de faire le voyage de la Terre-Sainte. Dans ce siècle, où le courage était une nécessité, les Normands passaient pour le peuple le plus brave de l’Europe. Comme ces chevaliers débarquaient à Salerne, ils virent un camp dressé sous ses murailles — Quels sont ces guerriers ? demandent-ils aux Salernitains. — Des Sarrasins. — Pourquoi poussent-ils ces cris de joie et dansent-ils sur la plage ? — C’est que tout à l’heure ils ont partagé la moitié de la rançon que la ville doit leur payer. — Quoi, ces mécréans ont osé rançonner des chrétiens ? — Et, sans en demander davantage, les Normands prennent leurs masses d’armes, se mettent à la tête des milices de la ville, se précipitent sur le camp des Sarrasins et font succéder à leurs fêtes une scène de carnage et de terreur ; les uns fuient, les autres veulent résister et sont taillés en pièces ; le plus grand nombre est fait esclave ; quelques-uns seulement se rembarquent, laissant leurs tentes et leurs richesses sur la plage.

Guaimard et les Salernitains comblèrent de présens leurs libérateurs, et, après avoir vainement essayé de les retenir, les renvoyèrent sur un navire chargé de fruits et d’étoffes précieuses. Lorsque, au retour, ils eurent fait goûter ces fruits à leurs compatriotes et qu’ils leur eurent raconté leur merveilleux voyage, ces hommes du nord ne songèrent plus qu’à visiter ce pays où mûrissaient la figue et l’orange. C’est à partir de ce moment qu’apparurent ces nombreuses troupes de pèlerins armés qui, sous le prétexte de visiter les abbayes du mont Cassin et du Gargano, envahirent le midi de l’Italie et se fixèrent à la cour des souverains du pays, au service desquels ils consacraient leur forte épée. Les ducs de Bénévent et de Salerne durent naturellement les accueillir ; avec leur aide puissante, ils soumirent d’abord Sorrente et bientôt menacèrent Amalfi qu’affaiblissaient les divisions de la famille ducale. Les deux petits-fils de Giovani Petrella, soutenus chacun par un parti puissant, se disputaient l’autorité ; tour à tour doges, ou proscrits, à la tête de la république ou relégués sur l’un des rocs des Syrènes,