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restituer les provinces conquises. Vainqueurs sur les rives du Cratis, comme au Garigliano, ils délivrent Cosenza, Squillace et Catanzaro, et s’ils ne rejettent pas les Sarrasins de l’autre côté du détroit, c’est que ceux-ci trouvent un refuge derrière les murailles de l’inexpugnable forteresse de Reggio[1].

La gloire qu’ils acquièrent dans ces diverses expéditions, ils la paient chèrement, il est vrai : la captivité d’un grand nombre de leurs concitoyens en est le prix. Baronius nous a conservé une curieuse correspondance entre le patriarche de Constantinople et le doge Mastolo au sujet du rachat de ces esclaves. Le doge avait réclamé quelques secours efficaces auprès du patriarche, dont les richesses étaient immenses ; celui-ci lui répond en formant toutes sortes de souhaits pour la délivrance des Amalfitains, en la prophétisant même, et pour toute offrande il lui envoie une livre d’or.

Le siècle qui s’écoula de l’an 913, époque de l’élection du doge Mastolo Ier, à l’an 1013, fut l’ère de la plus grande prospérité d’Amalfi. Ce fut dans l’an 1013 qu’une effroyable tempête détruisit en partie son port, ses murailles et ses tours, rasa le quartier qui s’étendait de la mer à l’archevêché, et abîma toutes les galères qui étaient à l’ancre dans ses bassins. Les chroniques nous racontent que cette invasion de la mer changea totalement l’aspect du pays et arrêta pour long-temps, pour toujours peut-être, le cours des prospérités de la république ; en détruisant son port, elle tarit la source de ses richesses et de son prodigieux ascendant. Six doges s’étaient succédés pendant le cours de ce siècle.

Tous ces premiers doges de la république s’étaient mêlés plus ou moins directement aux intrigues qui divisaient les princes de Salerne et de Capoue, et les avaient aidés dans leurs guerres. L’un d’eux, Mansone II, se signala même par un trait d’habileté politique qui eût singulièrement accru la prépondérance d’Amalfi, si ses résultats eussent été plus durables. Pandolfe Tête-de-Fer, l’un des ducs lombards, était mort en 981, en laissant un enfant en bas âge. Mansone II se présenta devant la ville de Salerne, où il avait un parti considérable, et se fit nommer prince en sa place. L’esprit de rivalité qui avait existé de tout temps entre les deux villes, s’opposa à la durée de son établissement. Pendant les quatre années que Mansone régna à Salerne, des rixes continuelles eurent lieu entre les deux peuples et aboutirent à l’expulsion des Amalfitains en 985[2].

Ce fut pendant la longue magistrature de ce même Mansone, l’un des premiers hommes de son siècle, que le commerce des Amalfitains prit sa plus grande extension. L’Italie était alors située au centre du monde civilisé, et les marchands d’Amalfi et les Vénitiens, leurs seuls rivaux, étaient les courtiers de commerce de l’Europe, comme aux temps des croisades, ils devinrent les commissaires des vivres de ses armées. Tandis que les galères et les soldats d’Amalfi luttaient contre les Sarrasins, ses navires de commerce abordaient dans

  1. Chronic. Arnulphi monachi, ap. Peregrin., tom. III. — Chron. Cavens., an. 921.
  2. Pellegrin, cap. CLXX.