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grec, auraient dû s’affranchir les premières de cette domination éloignée : ce ne fut cependant que vers la fin du IXe siècle qu’elles brisèrent les faibles liens qui les rattachaient au siége de l’état, et qu’elles nommèrent elles-mêmes leurs chefs militaires et civils : Naples, ses maîtres de soldats ; Gaëte, ses ducs ; Amalfi, ses consuls et ses doges. La cause la plus réelle de la longue sujétion de ces villes était leur propre faiblesse. Ne pouvant, dans le principe, résister aux nombreux ennemis qui les entouraient, elles se regardaient comme plus en sûreté en se plaçant à l’ombre d’un pouvoir encore respecté ; mais ce pouvoir s’effaçant de jour en jour, les liens de l’obéissance se relâchèrent. Obligées de se défendre avec leurs propres milices, elles se lassèrent d’un protectorat aussi onéreux qu’inutile, et le jour qu’elles voulurent être libres, elles le furent.

Ce protectorat ne fut peut-être nécessaire à Amalfi que dans une seule occasion : ce fut lors des premiers démêlés de la ville naissante avec les Lombards qui s’étaient établis à Bénévent et à Salerne, où, pendant cinq siècles, ils formèrent le corps d’état le plus considérable du midi de l’Italie.

Arichis, le duc de ces Lombards, qui ne craignit pas de se mesurer avec Charlemagne vainqueur, et qui, plus heureux que le roi Didier, vit son audace couronnée d’une sorte de succès ; Arichis avait déclaré la guerre à Amalfi, qu’il assiégeait. Malgré la force de ses murailles et le courage de ses milices, peut-être cette ville aurait-elle succombé à la double attaque d’une armée et d’une flotte, si Étienne, duc de Naples et patrice impérial, n’eût dépêché son fils César à son secours : les Lombards furent vaincus et se retirèrent en désordre (an 786)[1]. Les Amalfitains, du reste, surent bientôt se défendre seuls, et même combattre à propos pour la défense et la liberté de leurs voisins. En 813, les Sarrazins ayant menacé la Sicile, le patrice Grégoire, qui ne pouvait leur opposer que des forces insuffisantes, réclama l’appui des forces de Naples, d’Amalfi et de Gaëte. Antimo, duc de Naples, refusa de se rendre à l’appel de Grégoire. Les habitans de Gaëte et d’Amalfi, indignés de cette lâcheté et dirigés sans doute par leur intérêt personnel (les Sarrazins venaient de dévaster sous leurs yeux les îles de Ponza et de Lampeduse), armèrent leurs vaisseaux, les réunirent à la flotte sicilienne, et s’avancèrent à la rencontre des Sarrazins, sur lesquels ils remportèrent une victoire signalée, qui retarda d’un quart de siècle la conquête de cette île par les infidèles[2].

L’esprit d’indépendance, en exaltant les nobles passions d’un peuple, amène malheureusement à sa suite les divisions intestines et les factions. Les récits que nous ont laissés les chroniqueurs de ces démêlés et des désastres qui en furent la suite sont tellement sommaires, qu’il est bien difficile d’en apprécier la nature et les causes. L’ambition et la jalousie des princes lombards de Bénévent et de Salerne semblent jouer surtout un grand rôle dans ces petits drames, qui se terminent d’ordinaire par l’arrivée d’une armée et d’une flotte

  1. Camille Peregrin, Hist. princip. Lungob.
  2. Chron. Napolit., ap. C. Peregrin., tom. III — Ce fut en 828 qu’une vengeance d’amour leur livra la Sicile, comme elle leur avait livré l’Espagne.