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répètent sans cesse de mille manières différentes. Les nouvelles de la France occupent constamment dans leurs colonnes la première place, les débats de nos chambres y sont rapportés jour par jour en détail. Le nom de chacun de nos hommes d’état, et pour ainsi dire de chaque député, est aussi connu là-bas que parmi nous, et un beau discours de M. Thiers ou de M. Guizot retentit à Stockholm et à Christiania proportionnellement autant qu’à Paris.

Le même empressement à accueillir tout ce qui vient de la France se manifeste en littérature comme en politique. Partout on reproduit nos feuilletons, on fait de longs extraits et de longues traductions de la Revue des deux Mondes[1], on publie des éditions populaires de nos romanciers. Partout on demande des détails sur nos écrivains, sur leur manière d’être, sur ce qu’ils ont fait et sur ce qu’ils se proposent de faire. Certaines sociétés désœuvrées tombent, il est vrai, à cet égard dans des préoccupations puériles ; mais il y a çà et là des cercles choisis où l’on recherche la littérature vraie et sérieuse, et des œuvres périodiques où l’on mesure avec discernement le mérite de nos écrivains. Comme une preuve de ce fait, je pourrais citer plusieurs articles très judicieux de la Revue mensuelle (Maaneds tidskrift) de Copenhague, et des dissertations académiques d’Upsal, dans lesquelles, tout récemment encore, on rendait un légitime hommage à quelques-uns de nos auteurs actuels, et notamment à M. Sainte-Beuve.

En définitive, sous le rapport intellectuel, la presse du Nord ne peut pas être comparée à la nôtre. Elle n’a ni sa verve, ni son ardeur, ni sa puissance, et il est facile d’en expliquer la raison. D’abord cette presse est née d’hier, et les hommes qui y travaillent sont jeunes aussi. Ils ont fait leurs premières armes dans cette grande joute politique qui éclata de par le monde au coup du clairon de nos trois journées. La plupart de ceux que nous avons cités étaient encore complètement inconnus il y a huit ou dix ans. C’étaient des avocats, des professeurs qui n’avaient rien écrit, ou tout au moins rien publié, et dont la célébrité date du jour où ils sont entrés ouvertement dans la carrière du journalisme. Leur tentative fut hardie, et leur succès plus grand peut-être qu’ils n’auraient osé l’espérer. Mais on comprend très bien qu’une presse aussi récente n’ait pas encore tout l’ascendant qu’elle doit probablement acquérir un jour. C’est un pouvoir qui s’essaie, qui se trace sa route, et cherche ses partisans. Le peuple regarde déjà les journaux comme un soutien, mais non pas comme une autorité. C’est une satisfaction pour lui de les lire ; ce n’est pas encore un besoin. Il faut observer en outre que cette presse du Nord est arrêtée dans son essor par des entraves qu’elle ne parviendra à surmonter que lentement, par la patience et la ténacité. En Danemark, elle a contre elle les lois de censure et les règlemens de poste ; en Suède et en Norvège, le défaut, ou tout au moins

  1. En reproduisant les articles de nos Revues, les journaux du Nord nomment au moins les écrivains qu’ils traduisent, ou le recueil auquel ils font des emprunts. En Allemagne, on n’a pas toujours la même loyauté. M. Lewald, à Stuttgardt, a publié dans son Europa plusieurs articles de nos collaborateurs sans en indiquer la source, s’en attribuant sans façon tout le mérite.