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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

viana, prouverait seulement qu’il a existé à Amalfi une famille de ce nom, mais il ne prouverait pas l’existence de Flavio Gioja.

Admettons que Flavio Gioja ait existé. Quand fit-il sa découverte et comment la fit-il ? Tous les écrivains du temps gardent à ce sujet le silence le plus complet. On fixe l’année 1302 comme celle de cette découverte, mais on ne cite aucune autorité à l’appui de cette date qui ne peut donc être considérée comme certaine. Aussi les incrédules ont-ils eu beau jeu, et chaque peuple a-t-il pu, sans trop de présomption, revendiquer l’honneur de cette invention. Les Anglais ont dit : Boussole ou bussola vient de notre mot box qui veut dire boîte, donc nous sommes les inventeurs. — Nullement, répliquent les Allemands, la rose des vents de la boussole porte des dénominations allemandes, c’est donc l’Allemagne qui a fait cette découverte. — Les Français, comme on le pense, ne sont pas restés en arrière, et, nous l’avouerons, leurs raisons nous paraissent les meilleures. Ces raisons sont de divers genres : ils citent d’abord ces vers de Guyot de Provins, tirés d’un manuscrit qui porte la date de 1180[1] (date antérieure de cent vingt-deux ans par conséquent à celle des Amalfitains).

Icelle étoile (la polaire) ne se muet
Un art font que mentir ne puet
Par vertu de la marinette
Une pierre laide, et noirette
Ou li fer volontiers se joint, etc.

Ils ajoutent que toutes les nations semblent d’accord pour faire honneur aux Français de l’invention de la boussole, toutes ayant mis la fleur de lys sur la rose au point nord, et l’on sait que pendant des siècles la fleur de lys fut le symbole de la nation française.

À cette dernière raison les Amalfitains répondent que lys se traduit en italien par Giglio, que Giglio et Gioja, c’est absolument la même chose, et que, par une sorte de rébus héraldique fort en usage autrefois, au lieu du nom écrit de l’inventeur, on a mis sur la rose des vents une fleur de lys, sorte de traduction figurée du mot. L’explication nous paraît un peu forcée. Quant aux vers de Guyot de Provins, ils les regardent comme fort peu concluans ; ils prouvent seulement, disent-ils, que les Français connaissaient la propriété qu’avait la pierre d’aimant de se tourner du côté de l’étoile polaire, mais nullement qu’ils aient su s’en servir en mer. Mais alors pourquoi appelaient-ils marinette cette pierre qui se tournait vers l’étoile polaire ? La marinette était, sans aucun doute, le nom de la boussole[2].

  1. Guyot de Provins se trouvait en 1181 à la cour de l’empereur Frédéric, à Mayence.
  2. On lit cette description de la marinette dans un vieil ouvrage du commencement du XVIe siècle, sans nom d’auteur :

    « La marinette fait connaître qu’on faisait nager l’aimant dessus du liège dans l’eau, pour lui donner la facilité de se tourner vers le nord. » (L’art de Naviguer, pag. 87.)