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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

Amalfi, cette souveraine des mers, cette rivale de Venise, cette Tyr du Xe siècle ! Où sont ses fortes murailles, ses chantiers, ses arsenaux, ses innombrables galères, son industrieuse population ? Il n’en reste rien ; la ville qui recueillit les Pandectes, qui fonda la législation maritime, qui perfectionna et popularisa l’usage de la boussole, cette ville a tout perdu, tout jusqu’à sa monnaie, la seule qui pendant trois siècles eut cours dans l’Orient, jusqu’à ses couleurs, autrefois si glorieuses, l’étendard pourpre des Romains, ancêtres des Amalfitains, blasonné de la croix blanche au champ noir des chevaliers hospitaliers, cette autre fondation d’Amalfi.

Nous longeâmes toute la ville avant d’arriver à l’endroit où nous devions débarquer ; ce fut l’affaire de quelques minutes pendant lesquelles la vue d’une barque portant plusieurs étrangers fit renaître quelque apparence de vie sur la plage et le quai. Une armée de faquins, sortant de petits passages voûtés pratiqués dans la montagne et courant à travers les rochers, venait attendre notre barque, les bras nus, les jambes dans l’eau, et poussant des cris féroces, absolument comme s’il s’agissait de repousser la descente d’un corsaire ou de piller des naufragés. La barque fut à peine échouée que déjà voyageurs et bagages étaient enlevés et déposés sur la plage. Là, nous attendait le gros de la troupe avec des fauteuils à bras que portaient huit hommes, et il fallut opposer une vive résistance pour n’y être pas assis de force et enlevés. C’est que nous avions choisi pour gîte le fameux couvent de capucins, aujourd’hui supprimé, bâti sur des rochers à l’entrée d’une vaste grotte au nord de la ville, et que, pour s’y rendre, il s’agissait de gravir à peu près trois fois la hauteur des tours de Notre-Dame.

Une fois arrivés là, nous fûmes, il est vrai, bien payés de nos peines par la singularité du site et par l’admirable vue dont nous jouissions. Mais, avant de se laisser aller au plaisir, il fallait se débarrasser des vingt faquins qui avaient porté nos très modestes bagages, et ce n’était pas une petite affaire. Chacun d’eux réclamait un ducat pour sa peine, et beaucoup n’avaient pas même droit à une baioque. Je leur jetai une piastre en leur criant : Arrangez-vous. Les bateliers qui venaient de faire le long et difficile trajet de Salerne à Amalfi ne m’avaient pas demandé davantage. On ne peut se figurer les cris d’horreur qui sortirent du groupe des faquins à la vue de la piastre ; une baioque ne les eût pas plus indignés. Ils la jetaient à terre, la foulaient aux pieds d’un air superbe ; enfin, l’explosion de leur colère ne dura pas moins d’une grande heure, l’aubergiste n’osant pas les mettre à la porte de chez lui ; mais tout à coup une nouvelle barque ayant paru à l’entrée du golfe, ils ramassèrent lestement la misérable piastre et coururent vers le rivage. Quand ils furent dehors, l’aubergiste m’assura que je les avais payés trop cher de moitié.

L’auberge-couvent d’Amalfi est connue de tous les touristes, chacun d’eux y ayant fait sans aucun doute son pèlerinage obligé. En 1815, le nombre des frères étant fort réduit, on les réunit à un autre couvent ; celui-ci fut abandonné, et un industriel s’établit dans ses bâtimens qu’il transforma en hôtel, ne tou-