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arbres qui pendent en berceau sur la rue qu’elles ombragent, forment de cette partie de la ville une des plus agréables promenades qui soient au monde. C’est là que le soir se réunissent tous les oisifs de la côte, amenés par douze ou quinze calèches ou carrosses du pays, condamnés jusqu’à ce jour à ne jamais dépasser la distance d’Amalfi à Majori.

La beauté des femmes de Majori est renommée, surtout celle des femmes du peuple ; ce sont, comme à la Cava, de fortes et robustes beautés. Aussi, tandis qu’à l’heure de midi les maris faisaient la sieste, voyions-nous les femmes faire sur la place l’office de porte-faix et de manœuvres, chargeant ou déchargeant les barques, portant sur la tête des poutres ou d’énormes planches, s’aidant d’une main et s’appuyant de l’autre sur un grand bâton. La plupart de ces femmes sont vêtues en Dianes, le sein nu, les jambes nues, et la robe relevée fort au-dessus des genoux, sans doute pour que l’eau de mer ne mouille pas la jupe.

Minori, situé à deux milles environ de Majori, dont il n’est séparé que par un petit cap, est un joli bourg de deux mille quatre cents habitans. Au temps de la république d’Amalfi, c’était le plus important de ses arsenaux et de ses chantiers de construction. Les récits des chroniqueurs sont remplis de fables sur la nature de ses premiers habitans. Freccia, ce grave jurisconsulte, se fait l’écho de ces fables. « Forcella, nous dit-il (c’était le nom antique de Minori), cette bourgade dépendante de Ravello, eut autrefois pour habitans des hommes dont la taille dépassait dix palmes. Leurs forces étaient supérieures à celles des géans, et ils soulevaient les fardeaux les plus considérables. De nos jours on voit encore, dans l’église de Saint-Sébastien, quatre os des pieds et des bras de ces géans[1]. »

Aujourd’hui les habitans de Minori sont revenus à des proportions plus naturelles. Les femmes seules semblent descendre des géans de Freccia ; elles sont, s’il est possible, plus fortes et plus robustes encore que celles de Majori, et, à leur exemple, elles se livrent aux travaux les plus pénibles.

Minori, après s’être appelé Forcella, prit le nom de Rhegina minor, comme Majori de Rhegina major. Rhegina, à ce que prétendent les érudits, est un dérivé du mot grec ρηγνυμι (je brise, je romps), et ce nom s’appliquait à la vallée qui brisait la chaîne des montagnes. Les érudits nous expliquent encore comment Rhegina se transforma en i, et se plaça à la suite des mots major et minor, qui servaient à qualifier chacune de ces anfractuosités ; de là Majori et Minori.

La situation de Minori, au pied de la montagne de Ravello, est peut-être plus délicieuse encore que celle de Majori ; son église contient quelques tableaux remarquables, entre autres une Résurrection d’un maître inconnu, et une fort belle copie du Calvaire, de Marco de Sienne, tableau dont l’original existe à l’église de Saint-Jacques de Naples.

  1. Furcella, Ravellensium villa, homines habuit ex ea genitos, statura proceres, miræ altitudinis palmorum decem, etc. (Freccia de subfeud., pag. 78.)