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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

puis vingt jours, s’attendant à être mis à mort par les rebelles, quand Grandonetto Aulisio, patron d’une felouque de Cetara, à l’ancre dans le port de Salerne, et Mariotto Broggi, originaire de la Corse, qui avait servi autrefois sous le prince, résolurent de le délivrer. Mariotto Broggi était logé dans la forteresse qui servait de prison à Frédéric ; il lui fit passer par l’un des gardes qu’il avait gagné un costume de jeune fille ; le prince s’en revêtit et descendit dans une cour où Broggi l’attendait. Celui-ci, le prenant gaiement par la taille, passa devant les sentinelles auxquelles il laissait entendre par des signes mystérieux qu’il reconduisait son amoureuse, qui était venue le trouver ce soir-là. Il le mena ainsi jusqu’au port où Grandonetto les attendait. Sa felouque mit aussitôt à la voile, et le lendemain, au point du jour, le jeune prince débarquait sur la place du palais de Naples.

En reconnaissance de sa généreuse intervention, le roi Ferdinand créa le capitaine Broggi baron d’Arnesano dans la province d’Otrante ; quant à Grandonetto, il lui fit de riches présens, et, à sa prière, il accorda à Cetara, son pays, divers priviléges. Aussi les habitans de Cetara lui ont-ils élevé le tombeau qu’on remarque à l’entrée de leur église.

Au-delà de Cetara et de la petite marine d’Erchia, qui semble cachée sous le grand rocher du temple d’Hercule, l’aspect de la côte devient horrible. Nulles traces d’habitations, nulle végétation ; partout d’immenses rochers nus des formes les plus bizarres, les uns se dressant comme des obélisques de sept à huit cents pieds de hauteur, les autres suspendus dans les airs comme des voûtes d’arcs ruinés sous lesquels un des titans de la fable eût passé sans courber la tête. La base de ces pyramides et de ces rocs qui semblent descendre des cieux, s’enfonce perpendiculairement dans la mer. Poussée par les vents d’est et de sud, la vague s’y brise en fureur et les corrode. Les flancs de ces rochers offrent donc de tous côtés de bizarres déchirures, des cavernes profondes au fond desquelles pendent de gigantesques stalactites, ou des grottes étroites et tortueuses dont l’ouverture est à demi cachée par les flots. La mer, en s’engouffrant dans ces abîmes, en tire des bruits sourds et singuliers, d’affreux cris pareils aux mugissemens de l’ours en fureur ; aussi le cap que forment ces rochers a-t-il reçu le nom de Cap de l’Ours. À l’extrémité de ce promontoire, un long banc de rochers, formant une espèce de cirque, se détache de la masse principale ; cette pointe, qui s’avance au loin dans les flots, a reçu le nom de Cap du Tombeau. Les marins de Naples et d’Amalfi ne répètent qu’avec un respect mêlé de terreur les noms de ces deux caps redoutables ; ils vous racontent longuement la fatale histoire de ceux de leurs compagnons que l’Ours a dévorés ou qui dorment dans le Tombeau. Ce qui rend ces parages si dangereux, ce sont des bancs de roches sous-marines qui, à la profondeur de deux ou trois brasses, s’allongent au loin dans la mer. Malheur à la barque qui par un jour de tempête s’est aventurée sur cet écueil.

Lorsque nous traversâmes la Secca del Gaetano, — c’est le nom que les marins donnent à ces brisans, — le temps était magnifique ; la mer, légèrement agitée par