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petite marine ; les habitans de Salerne et de la côte d’Amalfi pouvaient se croire revenus au temps où Barberousse et Sinan-Bassa infestaient leurs parages et faisaient la chasse aux chrétiens dans leur voisinage. Si le châtiment se fit attendre, il fut terrible, et cette fois il était mérité[1].

Cetara a un monastère de frères mineurs et une église paroissiale dédiée à saint Pierre. Dans la muraille de cette église, à gauche de la porte principale, est enclavé un tombeau sur lequel on a gravé en forme d’épitaphe une sorte de narration poétique qui piqua ma curiosité.

Grandonetto Aulisio repose dans cette tombe, disait l’inscription ; après avoir parcouru les mers sur son fidèle navire, il rentra sain et sauf dans Parthenope et délivra de la prison de Salerne le prince Frédéric ; la gloire fut sa dernière compagne, etc., etc.[2].

Quel était ce Grandonetto ? et à quelle action de sa vie l’épitaphe faisait-elle allusion ? Voici ce que m’a raconté à ce sujet un érudit d’Amalfi :

En 1484, le roi Ferdinand, ayant essuyé une grande défaite dans la plaine de Sarno, au pied du Vésuve, fit la paix avec ses barons soulevés. Le prince de Salerne, Antonello Sanseverino, avait seul refusé d’acquiescer à cet arrangement. Il donnait pour prétexte à ce refus que les conditions du traité lui paraissaient obscures : « Que le roi envoie à Salerne le prince Frédéric son frère, il m’expliquera les articles que je n’ai pu comprendre ; rien ne s’opposera plus alors à un accommodement entre nous. Le roi, sans méfiance, envoya donc Frédéric à Salerne. Le jeune prince y fut reçu avec les marques du plus grand respect et du plus vif enthousiasme. Il convoqua les barons au palais du prince de Salerne et se rendit au milieu de leur assemblée. Les portes de la salle n’étaient pas encore refermées derrière lui, qu’Antonello Sanseverino, se levant et s’adressant au prince, lui déclara solennellement, au nom de tous les barons présens, que leur intention était de déposer le roi Ferdinand son frère et de le mettre sur le trône à sa place. « Nos bras, nos armes, nos cœurs, sont à vous, ajouta-t-il ; le saint-père est d’accord avec nous ; le jour même de votre acceptation, vous recevrez son investiture. » Frédéric aimait son frère, et, ce qui était fort rare à cette époque, il avait autant de désintéressement que de loyauté. Il fut saisi d’horreur à la proposition des barons ; repoussant avec fermeté et circonspection des offres qu’il déclarait ne pouvoir accepter sans manquer à son devoir, il fit connaître les propositions du roi et sortit. Mais Sanseverino et ses complices avaient bien pris leurs mesures. Le prince fut retenu captif dans le palais ; il avait à choisir entre le trône et la prison ; il choisit la prison, et il y languissait de-

  1. La population mâle de Cetara fut décimée.
  2. Grandenectus in hac Aulisius accubat urna
    Nobilis ingenii quem cava blanda tulit.
    Mox fida solers cymba per cerula vexit,
    Donec Parthenope reddidit incolumem, etc
    .