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du génie français, qui se montra, dans une entreprise si nouvelle, organisateur et positif. La constituante, la convention, l’empereur, ont apporté dans la discussion des droits, des intérêts et des affaires, une affirmation puissante, et la révolution française durera, parce que son esprit est positif. Elle pourrait être fort compromise, si elle n’eût fait que protester et déclamer ; mais comme, dans une existence de cinquante années, elle a déjà su se faire un héritage, et, pour ainsi dire, une antiquité d’institutions et de lois qui lui appartiennent, elle est destinée à toujours gagner en profondeur dans le sol, en étendue sur la surface du globe.

On peut se représenter l’esprit de l’homme s’appliquant aux affaires humaines dans trois situations principales : il renverse de fond en comble les institutions établies, il en crée d’entièrement nouvelles, ou bien il réforme, développe et transforme les institutions qui sont debout. Dans les deux premiers rôles, il paraît plus en saillie ; révolutionnaire ou fondateur, il est la cause présente et exclusive de tout ce qui périt et de tout ce qui s’élève. Aussi les hommes qui se sont habitués à ce grand spectacle sont enclins à penser qu’il n’y a d’autre occupation digne de l’activité humaine que de tout jeter bas et de construire sur de nouveaux fondemens. Cependant on ne peut ni toujours détruire, ni toujours fonder, et la continuité de ce qu’elles trouvent en arrivant à la vie est aussi un devoir pour les générations. L’homme politique se trouve-t-il à une de ces époques où les bases de la société sont usées par le temps, où tout est impuissant, corrompu, où il n’y a rien à développer parce que tout est à retrancher, qu’il soit alors hardiment révolutionnaire, qu’il renverse et qu’il édifie ; c’est le moment où il est permis d’être Mirabeau, où il n’est pas hors de propos d’être Sieyes. Que si, au contraire, il vit dans un temps héritier de ces grandes innovations qui changent les empires, où l’esprit nouveau, malgré les progrès et les conquêtes qui lui restent à faire, est cependant plutôt satisfait qu’opprimé, où il exerce sur les destinées sociales une initiative d’autant plus certaine, qu’elle sera plus habile et plus modérée, il acceptera son époque avec les différences qui la distinguent et les obligations qu’elle lui impose ; il n’enflera pas sa voix pour imiter le tonnerre des premiers tribuns de la révolution ; il ne se désespérera pas de ne pouvoir tracer d’un seul jet une constitution complète ; mais, étudiant la réalité sans colère comme sans dédain, examinant le corps social dans son ensemble et ses détails, il en reconnaîtra les parties vigoureuses, à quels endroits moins sains il faut appliquer le remède et la réforme. La rai-