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LA NOUVELLE-ZÉLANDE.

compagnie ; le reste se distribuait entre des destinations diverses, toutes dans l’intérêt des colons, telles que les frais de transport, les achats d’ustensiles, les débours de premier établissement, et les améliorations locales.

La spéculation, on le voit, était parfaitement combinée. On comptait sur un succès, on obtint un véritable triomphe ; ce ne fut pas seulement de l’assentiment, mais de l’enthousiasme. De tous les coins de l’Angleterre et de l’Écosse arrivaient des laboureurs, des ouvriers, des fermiers, suivis de leurs enfans et de leurs femmes. L’engouement gagna même les jeunes têtes de l’aristocratie, et à côté de la grande compagnie se forma un comité de colonisation qui se chargea de recruter pour la Nouvelle-Zélande des fils de famille et des hommes considérables. La nouvelle colonie aura donc, comme membres résidens, des noms qui tiennent de près aux grandes maisons d’Angleterre : MM. Henri Petre, Dudley-Sainclair, Daniell, Évans, Molesworth et divers autres. Ces messieurs ont vu là une sorte de gageure, une manière de faire de l’originalité patriotique ; même ainsi, c’est un noble passe-temps. Malheureusement tout n’est pas demeuré aussi pur et aussi irréprochable dans cette entreprise. Comme on devait s’y attendre, l’agiotage s’en est mêlé. Les actions de terrains ont été l’objet de négociations aléatoires ; on a spéculé sur le premier feu de l’opinion, on a abusé de la crédulité populaire. Ainsi le même acre de terre que la compagnie cédait à une livre sterling, était coté dans un journal à quatre vingts livres. Ce journal lui-même peut être regardé comme une de ces graves plaisanteries dont les Anglais seuls ont le secret. Il s’intitulait New-Zealand Gazette, et, en lançant son premier numéro à Londres, il déclarait que le second ne paraîtrait qu’à la Nouvelle Zélande, ce qui ne l’empêchait pas d’appeler des abonnemens immédiats. Le charlatanisme alla si vite et si loin, que le Times crut devoir insérer la note suivante sous le titre d’Avis aux émigrans : Quatre mille lieues séparent notre pays de la Nouvelle-Zélande, et, dans l’hypothèse d’un désappointement, ce n’est pas là une distance facile à franchir. Il règne, à l’heure qu’il est, une fièvre d’émigration qu’exploitent des personnes intéressées, sans se préoccuper des souffrances qui attendent leurs victimes. C’est pour prévenir les misères qui doivent résulter de ces calculs égoïstes et sordides que nous conjurons le public de se tenir en garde contre toutes les séductions de ce genre. Cette accusation est trop formelle pour qu’elle ne soit pas méritée.