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même qu’il agit en commun ; c’est enfin l’idée qu’il répandait involontairement autour de lui, de sa supériorité naturelle. Partout il était ou devenait le premier. Partout il inspirait la confuse croyance qu’il était réservé à de grandes destinées.

Il siégeait depuis quelques années dans la chambre des bourgeois, assemblée nationale de la Virginie, lorsque l’Angleterre commença ses fautes. On sait que la première fut l’établissement aux colonies d’un droit de timbre, par un parlement dont elles n’élisaient aucun membre, violation flagrante du principe élémentaire, source historique et commune de la liberté moderne. Le nouvel impôt fut déclaré inconstitutionnel, les assemblées protestèrent, et celle de Virginie ne fut pas la moins animée. L’Angleterre céda, et l’acte du timbre fut révoqué. « Si elle l’avait maintenu, écrivait dès-lors Washington, sa persistance aurait eu des conséquences plus terribles qu’on ne le croit communément, tant pour la mère-patrie que pour ses colonies[1]. » Mais le parlement, qui n’avait fait qu’une feinte retraite, inventa d’autres taxes et ne dissimula plus la prétention d’exercer un contrôle illimité sur toutes les parties du territoire britannique, et de placer les colons sur un pied d’exception parmi tous les sujets anglais. Cette prétention fut le grief fondamental de l’Amérique ; il motiva à lui seul les protestations, les remontrances, les pétitions, puis le refus de l’impôt, puis la rupture des relations de commerce, puis la déclaration d’indépendance et la guerre. Washington passa, comme son pays, par tous les degrés de la résistance. Dès le premier moment, il décida que c’était à l’Angleterre de céder, et que réparation serait faite à l’Amérique. Inflexible sur ce point, il dut vouloir et faire tout le reste, tout, y compris une révolution. Sans la désirer, sans la poursuivre, quoique de bonne heure il la prévît, il approuva ou conseilla toutes les mesures par lesquelles elle fut progressivement amenée. Toujours présent et actif dans la législature locale deux fois dissoute, dans la convention de Williamsburg, dans les assemblées de comtés, enfin dans le congrès, il prit vivement part à tous les actes décisifs qui signalèrent le patriotisme de la Virginie. « Les armes, disait-il dès 1769, doivent être la dernière ressource ; mais il n’est pas un seul homme qui doive hésiter ou craindre de les prendre pour défendre la liberté que nous avons reçue de nos ancêtres. » Cinq ans après, il s’écriait : « La crise est arrivée, il n’y a de remède pour nous que dans la détresse de l’Angleterre. Il faut maintenir nos

  1. Lettre écrite en 1767, citée par M. Sparks dans la Vie de Washington.