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LA NOUVELLE-ZÉLANDE.

n’échoient qu’à de fortes races, douées de l’esprit de suite et du plus grand des génies, celui de la patience. Aujourd’hui même l’élan est tel qu’il emporte la nation malgré elle, malgré un retour réfléchi sur son état intérieur. Le gouvernement a beau se refuser à de nouvelles expériences, le parlement a beau se tenir en garde contre l’esprit remuant des spéculations lointaines ; le mouvement d’irradiation coloniale ne cessera, pour l’Angleterre, que le jour où l’univers se dérobera sous ses pieds : ubi defuit orbis. Sa force d’expansion a tous les caractères de celle de la vapeur : elle n’a été puissante qu’à la condition d’être implacable.

Ce qui arrive à propos de la Nouvelle-Zélande, est une preuve bien décisive de cette tendance à un impérieux entraînement. Certes, on n’ignorait rien à Londres, dans les bureaux des colonies et du Foreign Office, de tout ce qui se rattache à ces deux grandes îles australes, si dignes d’intérêt et d’un si précieux avenir. On avait pu s’assurer depuis long-temps des avantages inhérens à leur possession, et des inconvéniens attachés à cette espèce de déshérence qui les frappe ; on connaissait les ressources du sol, on pressentait quel immense parti le commerce pouvait tirer de ce phormium tenax, le plus beau lin du monde, objet d’inépuisables récoltes, et des magnifiques bois de mâture que recèlent les forêts de cet archipel. On se disait encore que la Nouvelle-Zélande, rendez-vous des baleiniers anglais, ne pouvait demeurer sans péril un terrain vague, ouvert à tous les criminels, une sentine pour tous les vices, un lieu d’asile pour toutes les corruptions. Oui, plus d’une fois, le gouvernement anglais a dû se poser ces questions, interroger son courage, calculer sa force, sonder ses reins. Mais le cœur lui a manqué, comme on l’a dit : il a craint d’ajouter un tourbillon nouveau aux tourbillons qui l’emportent ; il s’est sagement défié du vertige. L’Inde et l’Australie, le Canada et la Jamaïque, sans compter les appoints, lui paraissaient constituer une somme assez forte de responsabilité coloniale et un fardeau assez lourd, même pour les épaules les plus vigoureuses.

Eh bien ! telle est la loi irrésistible des destinées humaines, que, lorsque le gouvernement anglais a fait une halte, étonné, effrayé de ses succès, le génie particulier l’a repris par la main, l’a forcé de se remettre en route, l’a rendu à la fatalité de son rôle. En Angleterre, l’association des forces individuelles est depuis long-temps élevée à la hauteur d’un pouvoir public ; c’est presqu’un état dans l’état. L’empire des Indes fut fondé par une compagnie de marchands, qui l’administra avec une majesté et une prudence dont peu de souve-