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LA NOUVELLE-ZÉLANDE.

lui avait été inféodé, il déclarait cependant reconnaître et vouloir respecter les droits des tenanciers actuels. C’était à la fois juste et habile, même en prenant la chose au sérieux. À cette déclaration imprévue de suzeraineté, M. Busby crut devoir répondre par une contre-déclaration d’indépendance. Il réunit trente-cinq chefs de l’île du Bord et leur fit signer un acte dérisoire qui ressemblait beaucoup à une constitution européenne, avec congrès, séances annuelles et équilibre des pouvoirs. Rien ne manquait à cette parodie. Muni de cette pièce, il attendit M. Charles de Thierry de pied ferme. Par surcroît de précaution, il voulut même que la Nouvelle-Zélande eût son pavillon, qui fut solennellement reconnu par l’Angleterre.

Cependant M. Charles de Thierry n’arrivait pas. Il ne venait pas assurer son droit par une investiture réelle. Long-temps retenu à Taïti et dans la Nouvelle-Galles du Sud, il ne débarqua à la Nouvelle Zélande que vers la fin de 1837, amenant avec lui soixante hommes qu’il avait recrutés à Sydney, et qui n’étaient pas, comme on peut le croire, des hommes de choix. À son arrivée, on s’occupa de ses droits et de ses prétentions. S’il faut en croire l’enquête de la chambre des lords, une assemblée de chefs aurait déclaré que la vente des quatre-vingt mille acres, datant de 1820, était nulle et périmée. Mais, comme compensation, un des chefs d’Hoki-Anga aurait cédé à M. de Thierry quatre mille acres d’excellente terre, au prix de 200 liv. sterl. payables en denrées. Voilà où en étaient les choses à cette date. Aujourd’hui, si l’on s’en rapporte aux documens de l’enquête des lords, M. de Thierry n’en maintient pas moins ses protestations contre toute occupation anglaise, en prenant le titre un peu ambitieux de roi de Rahaheva.

Cet incident une fois vidé, la Nouvelle-Zélande restait partagée, vers la fin de 1838, entre trois influences : celle de l’esprit indigène, toujours indomptable et entier ; celle des missionnaires, qui continuaient à petit bruit et sur une échelle réduite leur lent travail de prosélytisme ; enfin celle de l’esprit européen, envahissant le pays par tous les bouts, utilisant le mal comme le bien, se propageant par le commerce et par la politique, par les résidens et par les voyageurs. C’est ce dernier phénomène qui a éveillé l’attention de l’Angleterre sur un pays où elle entretient déjà un grand commerce sans y avoir fondé aucune organisation régulière ; c’est lui qui a donné naissance aux vastes projets de colonisation dont il nous reste à parler.