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forbans de toutes les nations. Sur un point si fréquenté par les vaisseaux, il fallait établir une justice ou tout au moins une surveillance. Les pouvoirs qui avaient été donnés aux missionnaires en vertu d’une loi de George IV étaient illusoires et insuffisans. Cette écume sociale qui, dès 1813, arrachait de douloureuses plaintes à M. Marsden, ne faisait que gagner chaque jour du terrain. Encore quelques années de tolérance, et la Nouvelle-Zélande devenait une république de boucaniers, régis par la loi d’une souveraine impunité. Il fallait aviser : on avisa, mais d’une manière timide. L’Angleterre avait peur alors d’être soupçonnée d’envahissemens ; elle se contenta d’envoyer à la baie des Îles, en 1835, un consul, M. Busby, avec des attributions vagues et impuissantes. Ce consul n’avait et n’a encore ni juridiction définie, ni moyens d’action appréciables. Quelques procès-verbaux, quelques rapports, voilà à quoi s’est réduit jusqu’ici son rôle officiel. Mais avec cette intelligence qui caractérise les fonctionnaires anglais, il a su s’en créer un autre, et il ne doit pas être demeuré étranger aux dernières combinaisons commerciales qui se rattachent à l’exploitation de cet archipel.

Ce consul venait à peine de s’installer dans la baie des Îles, quand il apprit par la voix publique qu’un baron français réclamait et s’attribuait la souveraineté de la Nouvelle-Zélande. Voici à quels faits se rattachait cette prétention. En 1820, durant le séjour de Shongui à Cambridge, le baron Charles de Thierry avait acheté de ce chef zélandais, par l’entremise de M. Kendall, missionnaire, quatre vingt mille acres de terre sur les bords de l’Hoki-Anga et ailleurs moyennant trente-six haches[1]. L’acte fut mis en règle, et, comme droit, l’enquête du parlement n’a pas atténué sa valeur. Comme fait, c’est différent ; non-seulement la possession a été contestée, mais elle semble avoir été refusée. Cependant, en 1831, M. Charles de Thierry songea à donner cours à son titre de propriétaire. Il forma à la Guadeloupe une société qui devait poursuivre la colonisation de la Nouvelle-Zélande, en la combinant avec la canalisation de l’isthme de Panama. À l’appui de ses vues et pour préparer les esprits, il lança un manifeste qui ne manquait ni d’adresse ni d’assurance, et dans lequel, ne retirant rien de ses prétentions sur le territoire qui

  1. Ce marché, tout surprenant qu’il peut sembler, n’est pas le seul de ce genre. M. Marsden avait acquis aussi, en 1814, un assez grand espace de terrain moyennant douze haches. Il faut ajouter que M. de Thierry se dit acquéreur à un titre bien plus onéreux et parle de dix mille livres sterling qu’il avait données à M. Kendall comme contre-valeur de ses achats.