Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.
161
LA NOUVELLE-ZÉLANDE.

leur disait-il ; je vous rapporterai douze mousquets et un fusil à deux coups. » Il s’embarqua en 1820 avec un missionnaire, M. Kendall. À Londres, aucun sentiment de curiosité ne vint faire diversion au but passionné de son voyage. Les évolutions des troupes, les manœuvres de l’artillerie avaient seules le privilége de l’intéresser. Présenté à George IV, qui le combla de présens, il conserva, au milieu des splendeurs de la cour, une gravité et une dignité naturelles : on eût dit qu’il était fait à ce luxe et à cette pompe des grands états. Parmi les présens du roi figuraient quelques armes, une cuirasse et un magnifique uniforme : cette attention seule le toucha, et ces objets l’accompagnèrent désormais dans toutes ses campagnes. Quant au reste, il l’échangea à Sydney contre des munitions de guerre. Ce voyage de Shongui tourna d’ailleurs contre les missionnaires, qui, les premiers, lui en avaient suggéré l’idée. Le chef zélandais avait pu se convaincre que ces évangélistes n’étaient, dans leur pays, ni au premier rang ni de première naissance, et cette circonstance suffisait pour les faire déchoir dans son opinion : « Les missionnaires sont des esclaves du roi George, avait-il coutume de dire. Quand je lui ai demandé s’il avait défendu qu’on me donnât des fusils, il m’a répondu que non. Les missionnaires auraient voulu qu’on m’en refusât, mais le roi leur a dit : « Esclaves, taisez-vous ; je veux contenter mon ami Shongui[1]. »

Ce qu’il y a de plus singulier dans le voyage du chef Toupe, c’est la hardiesse avec laquelle il s’imposa comme passager à un capitaine anglais qui traversait le détroit de Cook. Monté à bord, il renvoya sa pirogue et déclara son intention d’aller en Europe. On essaya de se défaire de cet hôte importun, mais il se cramponna si fortement aux mâts et fit une si belle résistance, que le capitaine se laissa toucher. Toupe était un guerrier célèbre de l’île du Nord ; il aimait aussi les fusils, et se plaisait à suivre les exercices à feu. Souvent il s’écriait : — Qu’on me fournisse beaucoup de mousquets, et je serai aussi grand que le roi d’Angleterre. — Durant son séjour en Europe, il donna une foule de preuves de son intelligence. Rien n’échappait à ses observations, surtout en matière de travaux mécaniques. Il mesurait l’importance des choses à leur utilité, et prisait avant tout les ustensiles en fer, les instrumens aratoires, les couteaux, les scies,

  1. Ce fut pendant le séjour de Shongui en Angleterre que se passa entre le chef zélandais et le baron Charles de Thierry un traité pour une concession de terre à la Nouvelle-Zélande.