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LA NOUVELLE-ZÉLANDE.

parut dans la baie des Îles. Dès l’arrivée, les meilleurs rapports s’établirent entre les naturels et les Européens. Des milliers de pirogues accouraient échanger, le long du bord, du poisson, des nattes et du lin contre de vieux clous, des morceaux de fer et quelques verroteries. Doués d’une intelligence merveilleuse, ces visiteurs surent bientôt les noms de tous les officiers, et voulurent, suivant l’usage local, les échanger contre leurs propres noms. On eût dit que Zélandais et Français ne formaient plus qu’une famille, tant la liberté des rapports était poussée loin, même entre sexes différens.

Marion n’avait paru dans ces îles que pour y réparer quelques avaries souffertes par ses vaisseaux. Quand il se vit entouré d’une sécurité suffisante, il fit établir ses chantiers dans une forêt distante de trois lieues du rivage, en assurant ses communications au moyen de postes intermédiaires. Les travaux commencèrent au milieu du concours le plus affectueux de la part des naturels. Quand les matelots se trouvaient trop fatigués de leurs courses dans les terres, les Zélandais les chargeaient sur leurs épaules, et les ramenaient ainsi à bord. Les échanges de services et de présens étaient continuels de part et d’autre. Marion prodiguait les verroteries et les couteaux, les sauvages apportaient les plus beaux turbots de leur pêche. Le capitaine semblait être l’idole du pays. On le proclama grand-chef, et comme insignes de sa dignité on lui posa sur la tête une couronne surmontée de quatre magnifiques plumes blanches.

Tous ces témoignages d’affection et de déférence cachaient une perfidie. Un jour Marion descendit à terre sous la conduite de Tekouri, son courtisan le plus assidu, et chef du plus important village de la baie. Quelques officiers accompagnaient seuls leur capitaine. Il s’agissait d’une partie de plaisir, d’une pêche. Le soir venu, Marion ne reparut pas ; mais personne ne s’en inquiéta à bord : les rapports étaient si sûrs, les relations si bienveillantes. Au jour, on expédia la chaloupe à terre pour y faire les provisions d’eau et de bois. Elle revint avec un seul homme ; le reste avait été massacré, coupé en morceaux par les sauvages. Dès-lors plus de doute : Marion et son escorte avaient subi le même sort ; la guerre était déclarée, et s’annonçait par la trahison la plus inattendue et la plus affreuse. Les officiers survivans songèrent d’abord au salut de leurs équipages. Désormais aucune opération pacifique n’était plus possible sur cette plage souillée de sang ; il fallait seulement dégager les matelots et les ouvriers compromis au milieu des terres. On forma un détachement qui marcha vers la forêt et parvint à ramener