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ville, se rendit avec tout son cortége à la mosquée où est suspendue, dit-on, la tunique du prophète, et offrit ses actions de graces au Dieu des croyans. De là le shah se rendit au tombeau de son grand père, Ahmed-Shah, pour y prier encore. Son émotion était visible ; le souvenir de ses maux passés, le sentiment de sa prospérité actuelle, prospérité si inattendue, ce témoignage muet, devant ses yeux, de la vanité de la conquête et du néant des grandeurs humaines : tout se réunissait pour remuer fortement son cœur et lui inspirer des sentimens à la hauteur de sa situation. Aussi, se tournant vers l’une des personnes de sa suite, donna-t-il l’ordre de faire courir après les chefs Barekzaïs, non plus cette fois avec des idées de vengeance, mais pour leur dire de sa part de ne pas errer à l’aventure comme des mendians et des gens sans aveu, de venir à lui, et qu’il prendrait soin de leur avenir. « Je ne sais plus faire de différence, ajouta-t-il, entre les Barekzaïs et les Saddozaïs ! » Ce sont là des mots heureux, des inspirations de bon augure. Le shah ne se borna cependant pas à des paroles, et le premier acte de son gouvernement a été, à ce qu’on assure, la remise d’un lac et demi d’impôts.

Le roi prit possession solennelle de son trône le 8 mai avec tout l’appareil et l’éclat que pouvaient donner à cette imposante cérémonie la présence des troupes anglaises, la foule des chefs alliés autour du souverain légitime, et l’empressement des populations accourues de toutes parts pour jouir de ce spectacle. Le général en chef avait donné ses ordres pour qu’on ne laissât au camp que le nombre de troupes strictement nécessaire à la garde des malades, du trésor, et des bagages. Huit mille homme de toutes armes furent commandés pour la parade ; une plate-forme avait été élevée pour le roi sur le front de la ligne occupée par les troupes.

À l’approche du roi, un salut fut tiré par une des batteries, et lorsqu’il eut atteint le centre de la ligne et pris place sur son trône, les drapeaux saluèrent, les tambours battirent aux champs et une salve de cent-un coups de canon annonça que la main de l’Angleterre venait de replacer sur le front de Shah-Shoudjâ-Oul-Moulk la couronne de l’Afghanistan. L’envoyé et ministre anglais, M. Macnaghten, le général en chef et leurs suites, avec les principaux chefs afghans, étaient à la droite du roi, les sayèdes et les moullas à sa gauche. Immédiatement après, le ministre et le général en chef présentèrent leurs nazzers (offrandes), circonstance digne de remarque, et qui avait pour but sans doute de grandir Shah-Shoudjâ aux yeux de ses sujets, en témoignant ainsi publiquement du respect du gouverne-