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Je voulus répéter que je ne me rendais point au château ; mais Launay ne m’en laissa pas le temps.

— En tout cas, dit-il, j’espère que nous irons aussi un de ces jours dans leur gentilhommière, et que nous y fouillerons tout avec la baïonnette, d’autant qu’il court des bruits depuis quelque temps… Le sieur Tuffin pourrait bien être par là. Avertis les Guyomarais de se bien tenir.

— Je les avertirai, répondis-je impatienté.

Et, m’avançant vers le syndic, qui causait vivement à l’écart avec l’étranger, je saluai et sortis.

Je venais d’atteindre la forêt, ayant complètement oublié ce qui s’était passé chez le procureur, lorsque j’entendis derrière moi un galop de chevaux ; presque au même instant, deux gendarmes parurent sous les arbres. Je ne sais pourquoi j’eus un pressentiment que c’était moi qu’ils poursuivaient ; je n’avais point eu, du reste, le temps de réfléchir à ce que je devais faire, qu’ils étaient déjà à mes côtés. Ils m’ordonnèrent d’arrêter, me demandèrent mon nom, et, sur ma réponse, l’un d’eux prit la bride de mon cheval en me priant de descendre. Je leur demandai à mon tour ce qu’ils voulaient.

— Nous avons ordre de ne point te laisser continuer ta route, citoyen, me répondit le brigadier.

— Vous me reconduisez donc à Lamballe ?

— Non.

— Où me menez-vous alors ?

— Tu vas le voir.

En parlant ainsi, les deux gendarmes avaient mis pied à terre, ils me firent entrer avec eux dans le fourré, les chevaux furent attachés à un arbre, et mes deux compagnons allumèrent leurs pipes sans prendre à mon égard aucune précaution.

L’aventure était trop étrange pour ne point exciter en moi beaucoup d’étonnement et un peu d’inquiétude. Ma première pensée fut qu’il y avait méprise ; les nouvelles questions que j’adressai me détrompèrent : c’était bien moi qu’ils avaient reçu ordre d’arrêter. Mais quel crime avais-je commis ? Pourquoi me retenir caché dans ce taillis ? Que voulait-on faire de moi ?…

Toutes mes questions à ce sujet n’obtinrent d’autre réponse que celle-ci : C’est l’ordre. Sûr de ne pouvoir vaincre la discrétion peut-être forcée de mes gardiens, je me résignai à attendre patiemment l’explication de cette énigme. Trois heures environ s’écoulèrent ainsi.