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LA TERREUR EN BRETAGNE.

écoutait d’un air contraint ; je voulus y couper court en avertissant Launay que j’étais pressé.

— Comment donc ! s’écria-t-il ; nous ne nous séparerons pas ainsi, j’espère ? Tu souperas avec moi.

— Je pars sur-le-champ.

— Mais la nuit va venir, et les routes sont dangereuses.

— Tout retard m’est impossible.

— Il s’agit donc d’une affaire importante ?

— Oui.

— Et où vas-tu ?

— Pas loin d’ici.

— À Plancoët ?

— Non… plus près… dans la forêt.

— À La Hunaudaie ?

— Justement.

— Est-ce que tu vas voir les Guyomarais ?

— Non.

— Au fait, reprit-il sans m’écouter et en se tournant vers le syndic, ce sans-culotte-là connaît tous les aristocrates… Il a vécu avec eux ; moi, qui te parle, je l’ai vu en habit de taffetas rose, le claque sous le bras et la hanche au vent, faire l’agréable avec les grandes dames de Kerjeau ; il était des parties de chasse de Desilles, de Molien, de Limoëlan ; peut-être même a-t-il vu là Tuffin de La Rouërie… En voilà un, par exemple, pour qui je graisserais une corde de bon cœur. C’est lui qui est l’ame du complot royaliste ; on n’entend répéter que son nom. Demandez aux paysans pourquoi ils refusent de payer l’impôt, ils vous répondront : C’est M. de La Rouërie qui l’a défendu ;… pourquoi ils ne portent plus de grains aux marchés : C’est M. de La Rouërie qui l’a dit ;… qui leur fait croire que dans trois mois les Prussiens seront à Paris ? Toujours M. de La Rouërie. Il est partout, il conduit tout, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’on ne le voit nulle part. Si on était fanatique, on croirait que c’est le diable, ma parole d’honneur ! Du reste, on le dit superbe homme. Des yeux noirs et la jambe faite au tour… Mais il est impossible que tu ne l’aies jamais vu chez Mme de Coatansecours.

— Cela est pourtant, répondis-je d’un ton sec.

— Puisque tu vas chez les Guyomarais, tu en entendras parler… Ils sont aussi de la bande, eux… avec leur beau-père, Micaut de Mainville.