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REVUE. — CHRONIQUE.

sur les traces de son père, subordonnant ses passions les plus généreuses aux intérêts de l’état et à l’avenir de la France.


— Nous achevons de lire l’écrit que notre ami et collaborateur M. Lerminier publie sous le titre de Dix ans d’enseignement. Il nous semble impossible qu’un seul esprit qui sera assez impartial pour prendre connaissance de cette réponse de M. Lerminier à tant de violentes attaques et d’inconcevables injures, ne sente pas tout ce qu’il y a d’équitable et de noblement calme dans sa réclamation et dans son appel au public. M. Lerminier a vu ses idées se modifier et mûrir avec l’âge ; il a eu vingt-cinq ans, puis trente ; voilà son crime. La modification d’idées qu’on a voulu travestir en apostasie datait, chez lui, de 1836, et il l’avait publiquement exprimée par écrit dans cette Revue même, dès l’avénement du ministère du 22 février. Le ministère du 15 avril l’a trouvé dans cette disposition de retour ; le titre de maître des requêtes en service extraordinaire n’apporta à M. Lerminier aucun bénéfice matériel et ne coûta pas un sou au budget ; il ne lui valait que le droit de prendre part à des travaux où l’esprit se forme aux affaires ; cet avantage même lui a été retiré depuis : telle est l’histoire de cette grande corruption que trop de journaux n’ont pas craint d’exploiter pour servir de récentes rancunes. Insulté, menacé dans sa chaire, il y a un an, M. Lerminier a fait face avec courage et modération à une scène devant laquelle bien d’autres auraient pâli. Cette année, il est monté de nouveau dans cette chaire encore une fois périlleuse et menacée : il ne demandait qu’à être entendu. Quelques perturbateurs en petit nombre ont imposé leur mauvais vouloir à une jeunesse faite pour être juste et pour ne pas prêter la main à des haines si peu généreuses. Qu’elle lise M. Lerminier, et qu’à la prochaine rentrée du professeur dans sa chaire (car il y remontera) elle l’entende.


M. Saint-Marc Girardin a ouvert, il y a quelques jours, son cours à la Faculté des Lettres devant un auditoire si nombreux, que l’amphithéâtre habituel le pouvait à grand’peine contenir. Le spirituel professeur, après quelques paroles de début, s’est excusé, bien à tort selon nous, des charmantes digressions morales, des aperçus pratiques pleins d’à-propos, qu’il avait mêlés les années précédentes à son brillant enseignement. C’est un reproche que lui seul songeait à se faire, et auquel le public a répondu par des applaudissemens unanimes qui étaient la meilleure et la plus flatteuse contradiction. En effet, au milieu de la chute ou de la dégradation successive de toutes les puissances morales, le devoir de chacun est de sauver pour sa part les débris du feu sacré. C’est ce que M. Saint-Marc Girardin a parfaitement établi. Dans l’état de la société actuelle, ce n’est plus le clergé, a-t-il dit, ce n’est plus la magistrature, ce n’est plus l’Université qui a charge d’ames, c’est tout le monde. Il n’y a plus, pour la jeunesse qui sort des colléges, ni directeur, ni arbitre de conscience ; elle ne fait nulle part un cours de morale. Son éducation littéraire est l’objet de soins perpétuels ; il y a pour cela des établissemens, des institutions, des règles, des épreuves. Quant à son éducation morale, elle se fait comme elle peut, au hasard, prenant çà et là quelques principes, et souvent des principes contradictoires, ici dans un sermon, là dans la conversation d’un homme du monde, ou d’un camarade plus osé qui