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REVUE. — CHRONIQUE.

nombre d’hommes habiles qu’on pourrait citer se sont placés, par leurs antécédens, dans une position telle qu’il serait presque impossible de les rappeler au pouvoir. La reine règne et gouverne ; fort heureusement pour les Espagnols, car à elle seule elle a plus de sagacité et surtout plus de résolution que tous les hidalgos de la Castille. Il faut demander grace pour elle à nos publicistes ; une exception pour le beau sexe ne tire pas à conséquence pour nous, abrités derrière la loi salique.

Si une majorité révolutionnaire rentrait, par la grace des électeurs, dans la salle des cortès, que deviendrait l’Espagne ? Que ferait le gouvernement espagnol ? Les gens qui prétendent résoudre toutes les difficultés par des souvenirs, et calquer le présent sur le passé, disent tous que l’Espagne chercherait alors son salut dans un 18 brumaire. Sans discuter ici le fond des choses et la moralité du fait, ils oublient que derrière le 18 brumaire il y avait le général Bonaparte, le conquérant de l’Italie, le vainqueur de l’Autriche, le poétique représentant de la civilisation européenne en Orient, l’homme fatal que quarante siècles avaient admiré du haut des pyramides. Qu’y a-t-il en Espagne ? Espartero, Espartero tenu en échec par Cabrera, Espartero ne marchant jamais qu’à pas comptés, et croyant, comme la plupart des Espagnols, qu’en toutes choses les mois et les années ne font rien à l’affaire. C’est une race à qui la Providence aurait dû, en bonne justice, accorder une existence individuelle dix fois plus longue que la nôtre ; alors seulement on pourrait dire qu’ils vivent autant que nous. Espartero, brave sur le champ de bataille, oserait-il briser de son épée les institutions légales de son pays ? Trouverait-il dans son armée le dévouement personnel, fanatique des généraux et officiers qui, le 18 brumaire, encombraient la modeste maison de la rue Chantereine, de ces grenadiers qui, après avoir soustrait leur général à la fureur des cinq-cents, les poussèrent avec une insouciance du droit et une goguenarderie toute soldatesque hors du lieu de leurs séances ? Et le coup d’état accompli, qu’arriverait-il après ? Ce qu’il y a de moins difficile et de moins laborieux dans les coups d’état, c’est l’enfantement ; mais il est rare que le nouveau-né soit viable, et le serait-il qu’il faudrait, pour l’élever et le mener à bien, des soins, une persévérance, une suite, difficiles à concevoir dans un pays aussi désuni, aussi peu éclairé, et d’habitudes aussi nonchalantes que l’Espagne.

Nous croyons qu’Espartero est au fond de notre avis, et que tout en désirant conserver le commandement d’une grande armée, tout en reconnaissant que cette armée peut être un en cas formidable et salutaire pour son pays, il désire avant tout ne pas être appelé à jeter son épée dans la balance des destinées de l’Espagne. Il ne peut pas ne pas sentir que dans la plus favorable des hypothèses pour lui, dans l’hypothèse du succès, la victoire serait un embarras pour lui, et lui un embarras pour l’Espagne.

La Suisse, agitée par des principes hostiles qui n’ont pas encore trouvé dans les complications du système fédératif un moyen plausible de conciliation, lutte avec effort contre les difficultés de sa situation, et cherche un état régulier qu’elle est encore loin d’atteindre. À Zurich, les idées par trop spécu-