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fait le type d’un genre distinct ; la seule espèce connue, l’euryale féroce, a reçu ce nom, que pour ma part je n’aurais pas voulu donner à une si noble fleur, à cause des épines redoutables qui hérissent ses pédoncules, ses calices et ses fruits.

L’euryale a été vue pour la première fois en Europe en 1809, et je ne sais si on l’a eue vivante en France. Quant au lotus rose (nelumbo élégant), il a fleuri plusieurs fois dans nos serres. On en a eu, en 1835, au jardin botanique de Montpellier, qui ont passé tout l’été en plein air, et s’y sont même développés beaucoup mieux que ceux qu’on tenait toute l’année sous châssis vitrés. Une des feuilles avait jusqu’à un pied et demi de large, et les fleurs n’avaient pas moins de onze pouces en diamètre.

L’Amérique méridionale paraît ne pas avoir de vrais nelumbos. On avait cru y trouver des euryales ; mais l’espèce d’abord désignée sous ce nom appartient certainement au genre Victoria. Ce genre, ainsi que je l’ai dit, a été créé par les botanistes anglais pour une belle plante de la Guyane, qu’ils considéraient à tort comme nouvelle, et que venait de découvrir M. Schomburgk dans une expédition aventureuse vers les sources de la rivière Berbice. Comme le voyageur a donné lui-même la relation de cette expédition, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ici le passage de son journal qui se rapporte à la fleur dont nous avons à nous occuper.

« 1er Janvier 1837. — Depuis quelques jours nous n’avancions qu’avec une extrême lenteur. Le lit de la rivière s’était resserré, et l’action des eaux contre les rives, au temps des grandes crues, en produisant de nombreux éboulemens, avait fait tomber en travers beaucoup d’arbres qui nous barraient quelquefois complètement le chemin. Pour ouvrir un passage aux canots, il fallait avoir recours à la hache, et, neuf fois sur dix, il arrivait que nous avions affaire à des troncs de Mora, arbre dont le bois, le plus dur de tous ceux de la Guyane, augmente encore de dureté quand il a séjourné dans l’eau. Une seule barrière nous arrêtait ainsi quelquefois deux heures ou plus, et parfois nous en rencontrions successivement trois ou quatre, à une petite distance les unes des autres. Notre métier était, comme on le voit, des plus rudes ; aussi n’y avait-il de privilége pour personne, et les femmes seules étaient dispensées de mettre la main à la hache..

« Pour comble de disgrace, une espèce de dyssenterie s’était mise parmi nos Indiens ; la plupart avaient, en outre, des rhumes très fatigans, et quelques-uns étaient assez indisposés pour n’être absolument propres à aucun service.