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LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS.

La grande division qui séparerait naturellement cette histoire des journaux français en deux tomberait à 89 : histoire des journaux avant la révolution, et depuis. Cette dernière partie, pour être plus rapprochée et pour n’embrasser que cinquante ans, ne serait pas, on le conçoit, la moins immense. Mais même pour la première, on ne s’imagine pas, si l’on n’y a sondé directement par places, l’immensité et la multiplicité de ce qu’elle aurait à embrasser dans l’intervalle de cent vingt-quatre ans, depuis 1665, date de la fondation du Journal des Savans, jusqu’en 89. L’utilité et le jour qui en rejailliraient pour l’appréciation littéraire des époques qui semblent épuisées, ne paraissent point avoir été assez sentis. Dans l’histoire qu’on a tracée jusqu’à présent de la littérature des deux derniers siècles, on ne s’est pris qu’à des œuvres éminentes, à des monumens en vue, à de plus ou moins grands noms : les intervalles de ces noms, on les a comblés avec des aperçus rapides, spirituels, mais vagues et souvent inexacts. On a trop fait avec ces deux siècles comme le touriste de qualité qui, dans un voyage en Suisse, va droit au Mont-Blanc, puis dans l’Oberland, puis au Righi, et qui ne décrit et ne veut connaître le pays que par ces glorieux sommets. Le plain-pied moyen des intervalles n’a pas été exactement relevé, et on ne l’atteint ici que par cette immense et variée surface que présente la littérature des journaux. Il y a en ce sens une carte du pays à faire, qui, à l’exemple de ces bonnes cartes géographiques, marquerait la hauteur relative et le degré de relèvement des monts par rapport à ce terrain intermédiaire et continu. Jusqu’ici encore, on a, par-ci par-là, rencontré et coupé des veines au passage ; il y a à suivre ces veines elles-mêmes dans leur longueur, et bien des rapports constitutifs et des lois de formation ne s’aperçoivent qu’ainsi. Ce sont des enfilades de galeries qu’on ne se figure que si l’on y a pénétré. On aurait beau dire d’un ton léger : « Que voulez-vous tant fouiller, et pourquoi s’embarrasser de la sorte ? Ces morts sont morts et ont bien mérité de mourir ; qu’ils dorment à jamais en leurs corridors noirs. Cette littérature oubliée était juste à terre en son vivant ; elle est aujourd’hui sous terre ; elle n’a fait que descendre d’un étage. Allez aux grands noms, aux pics éclatans ; laissez ces bas-fonds et ces marnières. » Mais il ne s’agirait pas ici de réhabiliter des noms ; les noms en ce genre sont peu ; les hommes y sont médiocrement intéressans d’ordinaire, et même les personnes morales s’y trouvent le plus souvent gâtées et assez viles ; il s’agirait de relever des idées et de prendre les justes mesures des choses autour