Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/849

Cette page a été validée par deux contributeurs.
845
LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS.

leurs[1], il lui arrive de parler de la candeur des récits consignés dans les Annales pontificales, avant les luttes passionnées du sénat et du peuple ; il m’est impossible vraiment, en songeant à toutes les fables qu’y affichaient les pontifes, et qui entraient dans l’intérêt aussi de leur politique, de me figurer de quelle candeur particulière il s’agit, si ce n’est que ces Annales étaient tracées sur une table blanchie, in albo. Comme goût, même dans ce genre spécial, j’aimerais parfois un peu moins de luxe d’érudition en certaines parenthèses, qui font trop souvenir l’irrévérencieux lecteur de ce joli mot de Bonaventure Des Périers : « Que, comme les ans ne sont que pour payer les rentes, aussi les noms ne sont que pour faire débattre les hommes. » Enfin on se passerait très bien encore çà et là de quelques petits mouvemens comme oratoires, qui sortent de l’excellent ton critique, et qui semblent dire avec Scipion : Montons au Capitole ! Mais, je le répète, et après tout le monde, l’érudition positive de M. Leclerc a épuisé les pièces restantes du procès, en a tiré tout le parti possible ; si l’on doute encore après cela, c’est que le doute est dans le fond même et qu’il ne se peut éviter.

Qu’on se demande un peu, toutefois, ce qu’on atteindrait chez nous de vrai et de positif si l’on essayait de reconstruire quelques vieilles annales contemporaines de Grégoire de Tours, ou les grandes Chroniques de Saint-Denys, que M. Leclerc compare ingénieusement aux Annales des pontifes, si l’on essayait de leur rendre crédit moyennant quelque ligne en l’air, quelque à-peu-près échappé à Voltaire ou à Anquetil. On disait les Annales chez les Romains comme on dit chez nous les vieilles Chroniques ; on s’en moquait, on les invoquait, sans les avoir lues. Denys d’Halicarnasse, qui s’y appuie, ne paraît pas les avoir directement consultées. On ne peut d’ailleurs rendre compte du moment ni du comment de la transformation de ces Annales d’abord tracées sur bois ou sur pierre, et plus tard rédigées en livres. Il était naturel et nécessaire que, tôt ou tard, ce changement eût lieu. Car que faire de toutes ces tables de bois ou de marbre, de tous ces album sur mur, où s’écrivait l’histoire de chaque année, durant les siècles où il n’y avait pas d’autre histoire ? Elles étaient fort sommaires, je le crois ; mais elles ne laissaient pas de devoir occuper à la longue une étendue fort respectable, si elles tenaient tout ce qu’on nous a depuis raconté des premiers siècles. Il y eut là de bonne heure de quoi encombrer le vestibule et toute la maison du grand prêtre.

  1. Page 115.