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trales, et oubliant tout ce qu’elles venaient de se dire, elle s’écria, frappée de plus en plus : — Mon Dieu, que tu es belle, ma chère enfant ! Les classiques qui m’ont voulu enseigner le rôle de Phèdre ne t’avaient pas vue ainsi. Voici une pose qui est toute de l’école moderne, mais c’est Phèdre toute entière… non pas la Phèdre de Racine peut-être, mais celle d’Euripide, disant :

Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !…

— Si je ne te dis pas cela en grec, ajouta Laurence en étouffant un léger bâillement, c’est que je ne sais pas le grec… Je parie que tu le sais, toi !…

— Le grec ? quelle folie ! répondit Pauline, s’efforçant de sourire. Que ferais-je de cela !

— Oh ! moi, si j’avais, comme toi, le temps d’étudier tout, s’écria Laurence, je voudrais tout savoir !

Il se fit quelques instans de silence. Pauline fit un douloureux retour sur elle-même ; elle se demanda à quoi, en effet, servaient tous ces merveilleux ouvrages de broderie qui remplissaient ses longues heures de silence et de solitude, et qui n’occupaient ni sa pensée, ni son cœur. Elle fut effrayée de tant de belles années perdues, et il lui sembla qu’elle avait fait de ses plus nobles facultés, comme de son temps le plus précieux, un usage stupide, presque impie. Elle se releva encore sur son coude et dit à Laurence : — Pourquoi donc me comparais-tu à Phèdre ? Sais-tu que c’est là un type affreux ? Peux-tu poétiser le vice et le crime ?… — Laurence ne répondit pas. Fatiguée de l’insomnie de la nuit précédente, calme d’ailleurs au fond de l’ame, comme on l’est malgré tous les orages passagers, lorsqu’on a trouvé au fond de soi le vrai but et le vrai moyen de son existence, elle s’était endormie presque en parlant. Ce prompt et paisible sommeil augmenta l’angoisse et l’amertume de Pauline. Elle est heureuse, pensa-t-elle… heureuse et contente d’elle-même, sans effort, sans combats, sans incertitude… Et moi !… mon Dieu, cela est injuste !

Pauline ne dormit pas de toute la nuit. Le lendemain, Laurence s’éveilla aussi paisiblement qu’elle s’était endormie, et se montra au jour fraîche et reposée. Sa femme de chambre arriva avec une jolie robe blanche qui lui servait de peignoir pendant sa toilette. Tandis que la soubrette lissait et tressait les magnifiques cheveux noirs de Laurence, celle-ci repassait le rôle qu’elle devait jouer à Lyon, à trois jours de là. C’était à son tour d’être belle avec ses che-