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PAULINE.

la lettre et pétiller la cire à cacheter, c’était une bien excellente personne, spirituelle, gaie, confiante… et bien étourdie ! car enfin, ma pauvre enfant, c’est elle qui répondra devant Dieu du malheur que tu as eu de monter sur les planches. Elle pouvait s’y opposer, et elle ne l’a pas fait ! Je lui ai écrit trois lettres à cette occasion, et Dieu sait si elle les a lues ! Ah ! si elle m’eût écoutée, tu n’en serais pas là !…

— Nous serions dans la plus profonde misère, répondit Laurence avec une douce vivacité, et nous souffririons de ne pouvoir rien faire l’une pour l’autre, tandis qu’aujourd’hui j’ai la joie de voir ma bonne mère rajeunir au sein d’une honnête aisance ; et elle est plus heureuse que moi, s’il est possible, de devoir son bien-être à mon travail et à ma persévérance. Oh ! c’est une excellente mère, ma bonne madame D…, et quoique je sois actrice, je vous assure que je l’aime autant que Pauline vous aime.

— Tu as toujours été une bonne fille, je le sais, dit l’aveugle. Mais enfin comment cela finira-t-il ? Vous voilà riches, et je comprends que ta mère s’en trouve fort bien, car c’est une femme qui a toujours aimé ses aises et ses plaisirs ; mais l’autre vie, mon enfant, vous n’y songez ni l’une ni l’autre !… Enfin je me réfugie dans la pensée que tu ne seras pas toujours au théâtre, et qu’un jour viendra où tu feras pénitence !

Cependant le bruit de l’aventure qui avait amené à Saint-Front, route de Paris, une dame en chaise de poste qui croyait aller à Villiers, route de Lyon, s’était répandue dans la petite ville, et y donnait lieu, depuis quelques heures, à d’étranges commentaires. Par quel hasard, par quel prodige, cette dame de la chaise de poste, après être arrivée là sans le vouloir, se décidait-elle à y rester toute la journée ? Et que faisait-elle, bon Dieu ! chez les dames D… ? Comment pouvait-elle les connaître ? Et que pouvaient-elles avoir à se dire depuis si long-temps qu’elles étaient enfermées ensemble ? Le secrétaire de la mairie, qui faisait sa partie de billard au café situé justement en face de la maison des dames D…, vit ou crut voir passer et repasser derrière les vitres de cette maison la dame étrangère, vêtue singulièrement, disait-il, et même magnifiquement. La toilette de voyage de Laurence était pourtant d’une simplicité de bon goût ; mais la femme de Paris, et la femme artiste surtout, donne aux moindres atours un prestige éblouissant pour la province. Toutes les dames des maisons voisines se collèrent à leurs croisées, les entrouvrirent même, et s’enrhumèrent toutes, plus ou moins, dans l’espérance de découvrir ce qui se passait chez la voisine. On appela