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PAULINE.

née. Elle en fit encore une autre qui l’attrista davantage : c’est que la mère avait une peur réelle de sa fille. On eût dit qu’à travers cet admirable sacrifice de tous les instans, Pauline laissait percer malgré elle un muet, mais éternel reproche, que sa mère comprenait fort bien et redoutait affreusement. Il semblait que ces deux femmes craignissent de s’éclairer mutuellement sur la lassitude qu’elles éprouvaient d’être ainsi attachées l’une à l’autre, un être moribond à un être vivant : l’un effrayé des mouvemens de celui qui pouvait à chaque instant lui enlever son dernier souffle, et l’autre épouvanté de cette tombe où il craignait d’être entraîné à la suite d’un cadavre.

Laurence, qui était douée d’un esprit judicieux et d’un cœur noble, se dit qu’il n’en pouvait pas être autrement ; que d’ailleurs cette souffrance invincible chez Pauline n’ôtait rien à sa patience et ne faisait qu’ajouter à ses mérites. Mais, malgré elle, Laurence sentit que l’effroi et l’ennui la gagnaient entre ces deux victimes. Un nuage passa sur ses yeux et un frisson dans ses veines. Vers le soir, elle était accablée de fatigue, quoiqu’elle n’eût point fait un pas de la journée. Déjà l’horreur de la vie réelle se montrait derrière cette poésie dont au premier moment elle avait, de ses yeux d’artiste, enveloppé la sainte existence de Pauline. Elle eût voulu pouvoir persister dans son illusion, la croire heureuse et rayonnante dans son martyre comme une vierge catholique des anciens jours ; voir la mère heureuse aussi, oubliant sa misère pour ne songer qu’à la joie d’être aimée et assistée ainsi ; enfin elle eût voulu, puisque ce sombre tableau d’intérieur était sous ses yeux, y voir passer des anges de lumière, et non de tristes figures chagrines et froides comme la réalité. Le plus léger pli sur le front angélique de Pauline faisait ombre à ce tableau ; un mot prononcé sèchement par cette bouche si pure détruisait la mansuétude mystérieuse que Laurence, au premier abord, y avait vu régner. Et pourtant ce pli au front était une prière, ce mot errant sur les lèvres une parole de sollicitude ou de consolation ; mais tout cela était glacé comme l’égoïsme chrétien, qui nous fait tout supporter en vue de la récompense, et désolé comme le renoncement monastique, qui nous défend de trop adoucir la vie humaine à autrui aussi bien qu’à nous-mêmes.

Tandis que le premier enthousiasme de l’admiration naïve s’affaiblissait chez l’actrice, tout aussi naïvement et en dépit d’elles-mêmes une modification d’idées s’opérait en sens inverse chez les deux bourgeoises. La fille, tout en frémissant à l’idée des pompes mondaines où son amie s’était jetée, avait souvent ressenti, peut-être à son