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et il règne en certains temps une impuissance tellement absolue pour toute chose, qu’en remuant sérieusement quelques pensées sérieuses, on est tout près du fantastique, pour ne pas dire du ridicule.

Mais aux époques même les plus visiblement empreintes d’un caractère de transition, un pouvoir éclairé pourrait, ce semble, préparer l’avenir par l’esprit et la tendance générale de ses actes. Alors les embarras croissans, dont le présent abonde, deviendraient de puissans auxiliaires pour des combinaisons réputées d’abord chimériques. C’est beaucoup que d’embrasser la société d’un point de vue d’ensemble, dût-on être souvent contraint à s’en écarter à raison des difficultés des temps. Les faits ne se soumettent jamais qu’à une idée, et manquerait-elle de fécondité, monsieur, l’idée qui se résumerait en cette double formule : organiser le gouvernement de la bourgeoisie dans le sens de son principe et moraliser le pays pour le mettre en mesure de supporter ses lois ?

À ce travail intérieur, opéré sur elle-même, la France doit en joindre un autre : elle a reçu de sa position en Europe, non moins que de ses traditions historiques, l’héritage de grands devoirs envers l’humanité tout entière. C’est pour cela que nous devons l’un et l’autre être fiers de notre patrie, car ni la terre des Anglo-Normands, ni celle des Gallo-Francs, ne sont sorties des mains du Créateur sans exprimer quelque chose dans l’ordre infini de ses desseins. Les races qui les habitent sont marquées au front, entre tous les enfans des hommes, d’un signe de puissance et de force. L’Angleterre dompte la barbarie et l’attaque corps à corps jusqu’aux extrémités du monde ; elle la traque dans ses forêts, la poursuit sur ses rochers réputés inaccessibles ; chaque jour, à force de persévérance et d’audace, elle écarte les obstacles accumulés par la nature et par les siècles, par l’Océan et par le désert. Mère du grand peuple sous le génie duquel s’incline le Nouveau-Monde, maîtresse de l’Océanie et des Indes, elle remonte des côtes de l’Asie vers les plateaux qui la dominent, et lorsque son œuvre semble prête à finir au Canada, elle commence à la Nouvelle-Zélande et jusque dans la Chine. Qu’ils passent, ces nobles pionniers de la civilisation européenne. La France ne leur disputera pas les lointains rivages fécondés par leurs labeurs, elle ne leur demandera pas un compte rigoureux de ces investitures prises au nom de la Providence ; mais que l’Angleterre le comprenne à son tour, la France est appelée à autre chose ici-bas qu’à cultiver ses champs et ses vignobles, et qu’à fournir toutes les capitales de cuisiniers et de danseuses. Ce qu’on suppute en profit commercial aux